L'AUDACE

TUNISIE 2004
DES MODERES AUX RADICAUX,
UN 4ème MANDAT A BEN ALI
EST EXCLU


ABDALLAH KALLEL,
OU L'AFFAIRE DU MINISTRE FUGITIF
DE BEN ALI

LE REGIME DE BEN ALI
S'EN VA T-EN GUERRE
CONTRE LA FRANCE



Corruption - Jeu de 7 Familles
LEILA TRABELSI
" PREMIERE DRAME " DE TUNISIE


N°73 mars 2001

Sommaire

Editorial : Non à un quatrième mandat de Ben Ali
Mieux vaut le dire
Manifeste des démocrates progressistes tunisiens
Communiqué conjoint de Mohamed Mouada et de Rached Ghannouchi
Jugeons-les !
Pour une citoyenneté souveraine : pétition à l'initiative du FDLT
Affaire Kallel
Leila Trabelsi : " Première Drame " de Tunisie
Ben Ali s'en va-t-en guerre contre la France
L'Audace An VIII
Carte blanche à Sadri Khiari
Cri de colère de Taofik Ben Brik
Interview
Droits de l'homme
Riposte
Presse internationale
La Plume déchaînée


EDITORIAL


Un quatrième mandat pour Ben Ali :
Non, non et non ! !

Si l'on est désormais surs d'une chose, c'est que le Général Ben Ali et ses complices passent actuellement de très mauvais quart d'heure. Et qu'ils ne sont pas près de connaître la paix de l'âme si tant est qu'ils en ont une. La Tunisie, toute la Tunisie, sort de sa torpeur, a abandonné sa peur et semble déterminée à mettre un terme à treize années d'arbitraire, de corruption, de soumission, de banditisme et de castration. La Tunisie qui se réveille est aujourd'hui résolue à conquérir sa liberté et sa dignité. C'est tout un peuple qui est à présent déterminé à accéder à une véritable citoyenneté. Il n'est qu'à se pencher sur la série de pétitions rédigées à la veille du 20 mars, fête de l'indépendance, qui ont récolté des centaines de signatures de personnalités les plus diverses pour comprendre l'étendue du malaise voire de la révolte qui unissent les Tunisiens des plus modérés aux plus radicaux. Il n'est qu'à analyser le contenu du communiqué conjointement signé par Mohamed Mouada, président du MDS, et Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, pour s'apercevoir rapidement que l'ère de la division et de la désunion de l'opposition, qui fut une décennie durant l'un des fonds de commerce de Ben Ali pour perpétuer l'Etat-RCD, est bel et bien révolue. L'opposition, dans toute sa diversité, a enfin compris que si diable il y a dans notre pays, c'est bien à Carthage qu'il se trouve et c'est bien dans le système RCD qu'il gît.
S'il est à regretter que tous ses acteurs politiques n'aient pas plus tôt pensé à ce qui semblait depuis bien longtemps inévitable, à savoir leur union autour de qui les réunit, il faut saluer toutes ces initiatives d'hommes valeureux réduits depuis des années au silence et parfois même glissant dans la collaboration avec un régime tortionnaire, corrompu et sans aucun projet d'avenir pour le pays, un régime animé par un flic inculte.
Le sursaut d'orgueil d'hommes comme Hicham Jaïet, Mohamed Charfi, Abdellatif Fourati (pour ne citer que ceux-là), signataires du Manifeste des démocrates progressistes tunisiens, illustre bien l'exaspération des plus modérés face à l'arrogance d'un pouvoir usant de la Tunisie comme d'un bien privé, ne tolérant aucune critique, agressant les militants des droits de l'homme et des libertés, réprimant la moindre voix contraire et pouvant aller jusqu'à l'assassinat comme en témoignent la tentative de meurtre du journaliste Ryadh Ben Fadhl ou la sauvage agression dont a été récemment la cible Jalel Zoghlami, frère du journaliste Taoufik Ben Brik.
Ajoutés à cela une corruption sans précédent, un pillage systématique des ressources du pays, une conduite ostentatoire méprisant une population machiavéliquement sur-endettée par l'oligarchie régnante ou au chômage, la confiscation des biens de l'Etat comme les milliers d'hectares accaparés par la famille Trabelsi, la monopolisation des secteurs économiques (transport routier, aérien; grande distribution; tourisme; restauration; le contrôle des marchés publics et souvent privés pour arracher des commissions), autant de tristes vérités qui ont inexorablement mené le régime à sa faillite avant qu'il mène le pays à la ruine.
Aujourd'hui, Ben Ali a deux options: préparer son départ en 2004 sans gros incidents qui feraient davantage souffrir un pays à bout de patience. Ou alors choisir de rester malgré tout et malgré la volonté de tous, et il sera contraint d'être chassé du pouvoir comme tous les dictateurs qui lui ressemblent et qui l'avaient précédé dans leur entêtement: au mieux humilié, au pire...
L'intention du Général de réinstaurer la Présidence à vie par un enième tour de passe-passe juridique n'aura aucune chance d'aboutir. Au contraire, cela ne ferait que précipiter sa chute.
Et ce n'est peut-être pas plus mal. l faudra cependant que l'opposition songe sérieusement à cette hypothèse car la rue n'attend souvent pas...

Slim Bagga





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MIEUX VAUT LE DIRE

Une information préoccupante sur des projets d'agressions à Paris.


Selon une source digne de foi, la police tunisienne aurait décidé d'organiser début mars deux agressions et intimidations à Paris. On se rappelle les précédents graves qui ont eu lieu à Paris et dont les victimes, sérieusement molestées et blessées, furent Ahmed Manaï et Mondher Sfar.
Voilà que le risque de ces agressions, intimidations et réprésailles ressurgit avec comme cibles principales Khemaïs Chammari, Kamel Jendoubi, objets de campagnes de diffamations virulentes et odieuses ces dernières semaines.
Selon ces informations recueillies de bonne source début mars, deux membres de la DST tunisienne, entrés en France sous des noms d'emprunt, mais dont les identités ont été confirmées, auraient eu pour mission d'organiser dans l'Hexagone ces opérations "coups de poing". Il s'agit, nous en sommes certains, de deux spadassins de la DST: Abdessattar Lakhdhar et Abdallah Ben Salem.
Nous sommes sûrs que ces barbouzes étaient investis d'une mission d'agression...
Cette information incite à une vigilance accrue même si les personnes ci-haut citées ont tenu à en relativiser la portée. Nous croyons savoir, par ailleurs, que les Autorités françaises ont été avisées par des Organisations de défense des droits de l'homme afin de tenter de prévenir tout risque de dérapage.



MIEUX VAUT LE DIRE : JEU DE 7 FAMILLES

Leila Trabelsi et les douanes françaises
Que faisait-elle donc à Paris? Leila Trabelsi, qui comme nous l'avions relaté dans notre dernière édition, était venue dans la ville des Lumières à bord du Falcon présidentiel en novembre 2000, au courant du mois du Ramadan, est repassée par la capitale française en janvier 2001 et re-repassée fin février, puisqu'elle a quitté la capitale de l'Hexagone ce vendredi 2 mars. Toujours à bord du même Falcon.
Le problème qui a eu lieu concerne la Tva (19,6%) et les Finances françaises sont fermes sur cela. Constatant les gros achats effectués par Leila, les douaniers ont demandé à les contrôler avant d'apposer leur signature sur des factures s'élevant à des dizaines de milliers de francs. Les agents tunisiens au service de Leila ont refusé ce contrôle. Il s'ensuivit un échange très vif et des insultes. Ce qui a amené les douaniers français à déposer une plainte.
Quant à Leila, elle embarqua ses valises.

La pourriture s'attaque à tout
Tous les week-ends ou presque, Moncef Trabelsi, le frère aîné de Leila, débarque à Paris, accompagné d'une jeune fille (pas toujours la même). Et repart le dimanche avec 20 grosses valises sur un vol Tunisair. Il se fait payer 10 000 francs (2000 dinars environ) le convoyage par valise qui voyage gratuitement. Moncef Trabelsi, ex-marchand de légumes et de fruits à Tunis, prend à la communauté tunisienne ce qu'il ne peut usurper par ailleurs.
En effet, la marchandise convoyée n'est ni contrôlée à Orly ni à Tunis-Carthage. La douane tunisienne n'y trouve rien à dire... Mais ce sont toujours environ 40 millions de millimes (ou 200 000 francs) au total qui reviennent à l'honorable Moncef Trabelsi...

Grombalia : les 7 familles sont là
L'Etat tunisien a décidé récemment de distribuer certaines terres domaniales à des agriculteurs, en leur proposant des concessions à long terme pour les cultiver. Le jour de la réunion décisive qui tendait à attribuer nomémment ces terres, un neveu de Ben Ali s'est présenté en disant tout haut : "J'achète tout". Ce ne fut pas un achat ni des attributions, mais tout simplement un racket.
Voilà la Tunisie de Ben Ali et de ses neveux.

Corruption toujours
Fin janvier, la police de Kasserine dans le centre- ouest tunisien, a mis la main sur un réseau de voleurs d'oeuvres archéologiques, patrimoine de l'Etat. En fait, il ne s'agissait pas là de Talibans, mais de voleurs tunisiens. Un coup de fil a été passé, et Belhassen Trabelsi donna l'ordre de libérer les "fossoyeurs".
D'ailleurs, après avoir tout raflé dans le pays, Mourad Trabelsi vient de créer une unité de friperie. Rappelons que Slaheddine Ben Ali, frère aîné du Général, avait obtenu en exclusivité une licence de friperie à Tunis qu'il s'est empressé de donner en gérance pour 4 milliards de millimes par an...

Bungalows : Ben Ali promet de tout rendre
Le Conseil ministériel du 16 février 2001 nous avait permis d'apprendre à travers la presse gouvernementale, que tous les bungalows, appartenant à des émigrés tunisiens en France, en Belgique, en Allemagne, qui avaient été confisqués, ont fait l'objet d'un point de l'ordre du jour et de l'attention du Président. "Hamdou'lilah". Il s'agit en fait des 134 villas, bungalows et maisons sur la côte de Nabeul relevant de la fameuse affaire du Belge Godot. Dans cette affaire, étaient surtout impliqués l'avocat Abderrahim Zouari, aujourd'hui ministre de la Jeunesse et des Sports du Général et d'autres avocats. Ce scandale, qui avait fait les manchettes de tous les journaux en 1985, remonte maintenant à la surface.
Si "L'Audace" apporte quelque chose de nouveau, c'est un message à Ben Ali : "Nous voulons nos maisons, tenez votre promesse. Mais si vous ne la tenez pas, nous ferons un communiqué commun de tous les propriétaires spoliés, dans lequel nous vous rappellerons le respect de la loi. Certains parmi nous ont une quinzaine de bungalows, villas et maisons, ils ont sacrifié leurs vies en travaillant à l'étranger pour en arriver à ce que votre ancien ministre Bouaziz vienne y passer quelques jours avec sa femme et ses enfants, en demandant à nos jardiniers de lui préparer la maison... Depuis que vous avez empoché la République, nous avons mal pour notre pays. Monsieur le Président, ce ne sont pas des menaces, c'est juste la décision de tous au cas où vous ne tiendriez pas votre parole".

Bouteflika et Ben Ali au téléphone
Suite à notre information parue dans le n¡70 concernant les révélations faites par le quotidien "El Khabar" du 22 novembre 2000, selon laquelle le neveu de Ben Ali était impliqué dans un trafic de voitures entre l'Europe et l'Algérie via parfois le port de Radès et le port de la Goulette à Tunis, le Général Ben Ali téléphona à son homologue algérien le Président Bouteflika :
- "Comment est-ce que la presse algérienne insulte et met en cause ma famille, en nous traîtant de corrompus?, lui dit-il
- Vous savez, la presse algérienne ne me ménage pas moi-même..."
, répondit son interlocuteur.

Ahmed Ben Salah
L'ancien super ministre de Bourguiba, septuagénaire, était rentré en Tunisie en septembre 2000 avec la promesse de Ben Ali qu'il recevrait sur place sa retraite. De 1990 à septembre 2000, sa retraite s'élève à 100 millions de millimes (500 000 FF environ). Mais depuis son arrivée, l'ancien ministre n'a perçu que 4.8 millions de millimes, c'est à dire l'équivalent de deux mois et demi de retraite d'ancien ministre ou 5% de ce que l'Etat lui doit.
Mais il n'y a pas que cela, puisque Ahmed Ben Salah, par ailleurs époux de la soeur de l'ancien Premier ministre, Hamed Karoui, actuel vice-président du RCD (le parti au pouvoir), dispose d'un hectare de terrain à Radès. A l'automne de sa vie, il pensait lotir ces 10 000m2. Ce que la municipalité de Radès lui refusa. Et l'on sait que Belhassen Trabelsi, pour humilier cet homme, envisage de s'approprier ce terrain.
Ce qui se passe en Tunisie est absolument excécrable. Des gens sans passé, en tout cas sans avenir, humilient le plus lâchement du monde les hommes qui ont servi la Nation.

Gafsa
Dans cette ville du sud de la Tunisie, la situation est catastrophique, suite à : - une sécheresse sans fin ;
- un chomage endémique des jeunes, des diplômés et des cadres ; - un manque d'intérêt de Ben Ali pour la ville de Gafsa.
Ben Ali considère, en effet, que Gafsa la résistante avait eu sa peau en 1980, lorsqu'il fut éjecté de son poste de directeur de la Sûreté au ministère de l'Intérieur.
D'ailleurs, l'on s'interroge ici et là sur les deux seules personnes corrompues de cette ville qui gravitent autour du Général : le premier, un certain Abderrahmane Tlili, et le second, Mohamed Chokri.
Faut-il rappeler à nos lecteurs que Abderrahmane Tlili a trois frères :
- le premier, Mustapha Tlili, ambassadeur à Qatar, vient d'être d'ailleurs rappelé à Tunis ;
- le second, Farid Tlili, est consul à Montréal au Canada ;
- le troisième, Rachid Tlili, a racheté à l'Office de l'huile, donc à l'Etat, une usine de mise en bouteille d'huile d'olive dont la valeur réelle dépasse les 300 000 dinars, du temps où Abderrahmane Tlili était Pdg de l'Office de l'huile, avant de devenir un opposant légal-ad-versace de Ben Ali aux élections d'octobre 1999, avec un score n'atteignant pas les 2%.
Faut-il rappeler enfin, que Mohamed Chokri, homme de tous les trafics, a racheté de nombreux biens immobiliers appartenant à des étrangers. Il vient d'acquérir une grande ferme agricole qui appartenait jusque là au ministère de la Défense nationale dans la région de Mornag. Enfin, ce sinistre Mohamed Chokri est celui qui a fait assassiner son propre frère, laissant sa belle-soeur et ses enfants à la rue, pour une sordide affaire immobilière.

Gafsa toujours
Le secrétaire général du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, parti au pouvoir) et ex-ministre de l'Intérieur, Ali Chaouch, a effectué récemment un déplacement à Gafsa.
Dans ses discours qui étaient portés contre la France (voir dossier de "L'Audace"), il dit alors ; "Aidez-nous, votre parti compte sur vous." Le peuple de cette ville lui répondit : "Nous voulons du travail. Où sont vos projets? Et de toute façon, pourquoi nous demandez-vous de vous soutenir alors que vous censurez la presse, que l'on ne lit rien et que vous voulez toujours décider à notre place?"




MIEUX VAUT LE DIRE : POLITIQUE

Commençons par la blague toujours...
Evoquant la traduction de Ben Ali devant un Tribunal international, des compatriotes tunisiens spéculaient sur la peine qu'il devra encourir.
Et voilà que l'un d'entre eux eut cette idée assez insolite :
"Je proposerai personnellement que Ben Ali soit condamné à faire un long discours sans lire ses feuillets préalablement tapés et mis en page en gros caractères".
Et un islamiste de répondre : "Cette peine infligée à Ben Ali constitue une forme de torture, et nous, nous sommes contre la torture".

Clans à l'intérieur
La fille aînée du Général-président, épouse du super gendre de son beau-père, Slim Chiboub, est en dépression nerveuse. Le fait en est que Monsieur la trompe souvent et qu'il se fait amener des femmes grâce à un monsieur Kaabachi...
En bon père, Ben Ali le prit en flagrant délit (comme s'il ne le savait pas), jeta "l'intruse" en prison et empêcha le gendre de voyager.
La police politique fait actuellement courir le bruit que Slim Chiboub est en disgrâce. Ainsi, le dernier week-end de février, Frej Gdoura, le puissant patron des renseignements, fut-il limogé à son arrivée au ministère de l'Intérieur. L'on crut savoir que c'était dans le cadre de la guerre des clans que cette mise a la retraite avait été décidée (voir éditorial de "L'Audace" n¡72. février 2001). Mais ce n'était pas que cela, puisque Haj Frej, qui n'est pas un vrai Haj, s'était permis de dire à l'occasion d'une beuverie, la veille même de son limogeage : "on n'était pas comme ça à la police, c'est Ben Ali qui va nous faire payer tous les pots cassés".

Consécration
La fondation américaine Helman Hamett vient de décerner son premier prix à Moncef Marzouki dans le cadre des rétributions annuelles qu'elle consacre aux écrivains de la liberté.

Laissez-le sortir
L'Université de Chicago vient d'attribuer à Moncef Marzouki un poste d'enseignant dans le cadre des "schoolars at risks".

Actes de vandalisme
Des "inconnus" ont brisé les vitres arrières de la voiture de Me Alya Chammari le mardi 13 mars. Par ailleurs, des "inconnus" ont mis du sucre dans le réservoir de la voiture de Me Rashia Nasraoui le week end dernier...

Procès de la LTDH (jugement en référé)
La cour d'appel de Tunis a examiné ce 13 mars 2001, l'appel interjeté par la LTDH contre le jugement en référé portant sur la nomination d'un administrateur. L'affaire a été repoussée au 27 mars 2001 pour l'annonce du jugement.

Ne blaguons pas
L'Institut arabe des droits de l'homme, dont est président Taïeb Baccouche, a adressé une lettre au Général Ben Ali à travers laquelle l'Institut "s'étonne" de la démarche entreprise par le pouvoir contre la Ligue tunisienne des droits de l'homme.
Depuis cette missive, l'Institut arabe des droits de l'homme ne reçoit plus de subventions, plus de courrier à part les factures d'eau et de gaz.
C'est curieux.
Nous croyons savoir que Mohamed Mouada, président du MDS légitime, ne reçoit plus son courrier également.

A propos de la maladie du Président
"La Presse", journal du gouvernement, nous a annoncé sur sa Une, par l'intermédiaire de son porte-parole officiel, Abdelwaheb Abdallah, trois jours de repos pour le Président.
Selon le communiqué officiel, il s'agissait d'un problème de pneumologie.
Faux ! Zine El Abidine Ben Ali devait assister à partir du 2 mars, à une conférence organisée par l'autre girouette Gueddafi, appelée Syrte II, à travers laquelle l'instable colonel devait "concrétiser ses Etats Unis d'Afrique".
Ben Ali se contenta d'envoyer "son" Premier ministre et "son" message pour tenter de plaire aux Américains qui ont de sérieuses réserves au sujet de Gueddafi et de tous ses projets.

Le courroux du Président
L'ambassadeur de Tunisie à Doha au Qatar, Mustapha Tlili, a été rappelé à Tunis parce que le Président légitime du MDS Mohamed Mouada, est passé en direct sur "Al Jazira" le 21 février dernier, face à Me Fayçal Triki qui a su renier à temps ses convictions. Mais il n'y a pas que cela.
L'ancien Premier ministre, Mohamed Mzali, s'est déplacé fin février au Qatar dans le cadre d'une mission à caractère sportif. Il y fut reçu par le chef de l'Etat, les émirs, toute la classe gouvernementale de cet émirat et fit la Une de tous les journaux qataris, ce qui exaspéra Ben Ali.
Faut-il rappeler à ce sujet les multiples mensonges de ce dernier ?
Chaque fois que Ben Ali a rencontré des personnalités étrangères et que celles-ci lui avaient parlé du cas Mzali, il répondit "C'est mon grand frère".
Malgré la basse campagne de presse dont Ben Ali a été à l'origine contre l'ancien Premier ministre, malgré la confiscation de ses documents et ses archives personnelles (toujours pas rendus) et de sa maison à La Soukra, mettant sa femme et ses enfants à la rue, malgré que Mzali n'ait jamais obtenu sa retraite d'ancien ministre, malgré..., malgré..., Ben Ali raconte à ses interlocuteurs qu'il a envoyé un émissaire à Paris pour lui signifier qu'il n'était pas au courant "qu'on lui avait confisqué sa propre maison et qu'il avait lui-même tancé pour cela son ministre des Terres domaniales."...
Ben Ali est un faux, Ben Ali est un menteur.

Toujours des mensonges...
Mieux encore : chaque fois que la situation en Tunisie a été évoquée entre des diplomates européens et des opposants tunisens, on leur répond: "Nous savons tout, mais que pouvons-nous faire pour vous aider à vous en sortir?" Ce qui constitue une nette évolution...
A titre d'exemple, nous pourrions évoquer certains faits. En 1994, le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi avait demandé l'asile politique à Londres, en Grande Bretagne. Quelques jours plus tard, une célèbre journaliste arabe rencontra le ministre des Affaires étrangères Douglas Hurt et ll'interrogea au sujet de Ghannouchi, suggérant que vu les intérêts tuniso-britanniques, le pouvoir tunisien aller se fâcher.
"Effectivement, répondit le ministre anglais, j'ai reçu le ministre des Affaires étrangères, Habib Ben Yahia, qui m'avait proposé un dossier compromettant contre Rached Ghannouchi. Je l'ai, alors,trouvé vide et ses accusations farfelues".
Et Ben Hayia de revenir voir Douglas Hurt à ce sujet et le ministre anglais de lui répondre : "No, no, no", en se levant et mettant fin à l'entretien.
Tout cela pour dire que les partenaires et les amis de la Tunisie en ont assez que les Autorités tunisiennes les prennent pour des imbéciles.

UK- suite
Récemment, les Autorités britanniques ont établi la liste des Organisations terroristes établies à Londres. Elles n'ont pas signalé le mouvement islamiste tunisien Ennahdha, ce qui a beaucoup déçu les Autorités tunisiennes.
Plus récemment, un demandeur d'asile membre d'Ennahdha, a comparu devant un Tribunal à Londres, accompagné de Rached Ghannouchi en qualité de témoin (et non pas devant une administration comme l'OFRA en France). Le Président d'Ennahdha, qui devait prendre la parole pour assister ce jeune demandeur d'asile, reçut la réponse suivante du Président du Tribunal : "La situation des droits de l'homme en Tunisie est connue de tous et de tout le monde, le régime tunisien est à nu. Voilà pourquoi notre Tribunal attribue l'asile politique à l'exilé tunisien ici-présent".

Refus
L'OFPRA vient de refuser encore une fois l'attribution de l'asile politique à Ahmed Ouerghemi. Exilé depuis plus de 15 ans, privé de sa femme et de ses enfants, il considère cette décision injustifiée, "dans un pays de droit comme la France".
"Tout ce que je veux, c'est collaborer avec des hommes et des femmes qui combattent un régime dictatorial quasiment tombé. La souffrance de ne plus connaître ses enfants depuis tant d'années illustre bien la cause que je défends"...

Encore une affaire de haine
Nous avions evoqué dans le n¡68-69 de "L'Audace" (octobre-novembre 2000) les déboires de Brahim Hamdi, cet universitaire tunisien qui n'est pas rentré 16 ans durant dans notre pays.
Brahim a obtenu un DEA en droit médical à l'université de Paris VIII mais le Conseil de l'Ordre des avocats et la justice tunisienne ne l'ont pas autorisé à s'inscrire au Barreau, alors qu'il avait obtenu l'équivalence pour ses dîplomes de la part du ministère de l'Enseignement supérieur.

Précision
Un certain Ben Amor a contacté "L'Audace", sans préciser son prénom. Il soutient que l'information publiée dans nos précédentes éditions concernant des agents de renseignements tunisiens opérant à Paris, lui a personnellement porté préjudice. Il rappelle qu'il "connait bien Mohamed Tahar mais qu'il ne se reconnait pas dans son amitié". Dont acte.

Slim Chiboub : une arnaque de plus
Les camions de la marque japonaise Isuzu dont l'assemblage, se fait dans une usine située au centre de la Tunisie, ont vu ces derniers temps leur prix augmenter de près de 20% environ, passant de 17 000 DT à 20 000 DT.
Slim Chiboub, voulant importer des véhicules d'une autre marque, a en fin de compte conclu un marché avec le consessionnaire de l'usine japonaise implantée à Kairouan. Ainsi, le gendre véreux ne commercialisera pas la seconde marque mais en contre partie, il recevra pour chaque camion Isuzu vendu 3000 DT.
Faisons un simple calcul : 25 camions produits par jour x 3000 DT = 75 000 DT garantis quotidiennement sans aucun effort et sans aucun investissement.... soit plus de 2 millions DT par mois.

Commission disciplinaire pour avoir dit bonjour
A la dernière semaine de sa grève de la faim, Jalel Zoghlami a rendu visite à certaines fédérations de la Centrale syndicale, au siège de l'UGTT (Santé, Postes, Enseignement...) place Mohamed Ali.
Ce n'était pas pour plaire au nouveau patron de l'UGTT, Abdessalem Jrad, qui a ordonné que tous ces responsables de fédérations passent en Commission disciplinaire et que les voitures de fonction leur soient retirées (Kalima.com)

Encore une affaire de cupidité
Un émigré tunisien détenteur d'une licence délivrée par la chaîne Pizza Hut a été contraint de fermer du jour au lendemain tous les restaurants dont il dispose à la Marsa , à Tunis, à Sousse et à Sfax.
Qu'en est-il ? Après avoir fait un investissement de deux millions de dollars (deux milliards de millimes tunisiens) pour obtenir l'autorisation de la chaîne de restaurants de la représenter en Tunisie, il s'est vu proposer la vente de son projet par Belhassen Trabelsi. Ce qu'il a refusé.
C'est ainsi qu'on lui a carrément fermé ses commerces, officiellement pour "utilisation d'une appellation commerciale internationale sans autorisation préalable". Ce qui est faux dans la mesure où notre pauvre émigré avait obtenu une licence en due forme.
Cette affaire nous rappelle une autre non moins triste: celle dont avait fait les frais un certain Chammari qui avait obtenu des Américains, propriétaires de Mc Donald's une licence afin d'exercer au Palmarium. Il dût déchanter après que Slim Chiboub voulut mettre la main sur le projet. Ce que Mc Donald's refusa, et ce projet ne vit jamais le jour.

Hicham Jaïet sur RFI
Le célèbre historien et intellectuel tunisien, qui vient de signer le manifeste des démocrates progressistes, s'est exprimé mercredi 21 mars sur RFI. Il a brillamment expliqué comment on étouffe en Tunisie. Il a resumé la situation de blocage actuelle et affirmé que de nos jours, le silence est une forme de complicité.
Rappelons que Hicham Jaïet avait, dès décembre 1988, sur les colonnes de "Réalités",avait mis en garde contre la dérive autoritaire à laquelle nous risquerions d'aboutir avec une Constitution comme la nôtre qui attribue les pleins pouvoirs au président de la République. Dans un célèbre article intitulé "Points d'ombre", il insistait sur la nécessité d'instituer de véritables contre-pouvoirs pour prémunir la fonction présidentielle du totalitarisme d' un Président...




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POLITIQUE - A LA UNE


TUNISIE 2004
Manifeste des démocrates progressistes tunisiens

1 - La Tunisie est entrée, ces dernières années, dans une grave crise politique et morale, caractérisée par deux traits majeurs : La négation du politique et la privatisation de l'État. Durant les trois premières décennies de l'indépendance, il y avait "de la Politique", autoritaire et personnalisée au début, alternant ensuite avec des périodes d'accalmie et des périodes de répression, mais " de la politique ", c'est-à-dire l'art de gérer institutionnellement les conflits entre acteurs et d'en maîtriser les mécanismes afin de préserver la pérennité de l'Etat. De nombreux Tunisiens se sont opposés à cette politique : certains de l'intérieur du régime, essuyant de longues périodes de disgrâce ; d'autres, de l'extérieur, en subissant torture et emprisonnement. A la faveur de ces luttes, le sursaut démocratique et pluraliste s'est opéré au sein de la société tunisienne tout au long des deux dernières décennies de Bourguiba. C'est le combat des démocrates de diverses sensibilités qui a fait fléchir Bourguiba. De multiples journaux indépendants ont pu ainsi fleurir, des associations indépendantes s'épanouir, et des partis politiques acquérir une audience réelle et organiser de véritables débats. Ce pluralisme politique est malheureusement resté inachevé ; il n'a pas atteint les institutions officielles représentatives. Il n'empêche qu'il y avait, au moins à l'échelle de la société civile, une vie politique.

2 - La situation a changé. La politique, cet art majeur qui consiste à réguler le vivre-ensemble consensuel/conflictuel est désormais interdite. Le régime actuel connaît une dérive sans précédent : un pouvoir personnel absolu poussé à l'extrême, un populisme démagogique qui infantilise le peuple et ses élites, un dépouillement des institutions constitutionnelles, politiques et professionnelles de tout contenu au point qu'elles sont toutes devenues des instruments dociles aux mains du pouvoir d'un seul et un étouffement de la société civile, tous annonciateurs de dangers extrêmes.
L'expressiont de la différence est bannie, les libertés confisquées, l'audio-visuel monopolisé, la presse d'opinion bâillonnée. La presse du pouvoir, produit de la propagande à la gloire du Chef, est de plus en plus utilisée comme support de calomnies à l'encontre des opposants et des insoumis. Les partis politiques reconnus sont satellisés ou marginalisés et les autres partis systématiquement réprimés. Les rares associations représentatives de la société civile font l'objet d'un harcèlement permanent; les militants politiques et, plus particulièrement, les défenseurs des droits humains défilent régulièrement devant les tribunaux. Ils sont emprisonnés et, parfois, agressés physiquement. Leurs maisons sont cambriolées, leurs biens saccagés et leurs lignes téléphoniques coupées. La répression frappe même, dans certains cas, les membres de leurs familles. Certains sont contraints à l'exil. La torture est pratique courante dans les locaux de la police, dans ceux du ministère de l'Intérieur et dans les prisons.
Quant aux citoyens, ils sont habités par la peur et la terreur. Ils se sentent pris dans les mailles du filet d'un vaste appareil de surveillance : le dispositif policier, les "cellules du R.C.D." (Rassemblement constitutionnel démocratique), les "comités de quartier", les écoutes téléphoniques, et le contrôle du courrier. S'ils n'admettent pas la servilité, ils courent alors le risque de la mise au chômage s'ils sont salariés et du redressement fiscal abusif s'ils sont industriels, artisans, commerçants ou membres de professions libérales.
La jeunesse est écrasée. Elle n'a plus de lieux pour déployer son énergie, sa générosité, sa créativité et ses rêves. Tous les espaces où elle peut communiquer, produire de la pensée, de l'imagination, de la solidarité et de l'action militante sont interdits ; toutes les aires où elle peut faire son apprentissage de la citoyenneté font désormais défaut. Il serait particulièrement grave pour la Tunisie et pour son peuple que la jeunesse soit maintenue plus longtemps dans un statut d'infériorité, sous le joug d'une peur qui l'éloigne de son droit à se prendre en charge.
La Tunisie a connu un développement économique non négligeable. Il reste que les investissements intérieurs et extérieurs ne se situent pas à des niveaux satisfaisants se répercutant ainsi négativement sur l'emploi. Ces faiblesses, malgré un environnement institutionnel, juridique et financier a priori stimulant, sont en fait dues à l'absence de confiance des investisseurs dans l'avenir du pays. Celle-ci se nourrit également de l'opacité qui caractérise le fonctionnement de quelques secteurs économiques, des interférences incongrues de certains cercles privés proches du pouvoir, et d'un manque de transparence dans les opérations de privatisation des entreprises publiques. L'absence de liberté de presse et de garanties d'indépendance de la justice, le clientélisme et la corruption sont aujourd'hui les principaux freins à un développement plus important et plus rapide dont les Tunisiens sont parfaitement capables.
Cette dérive inexorable vers l'Etat de non-droit est dramatique. Les nouvelles " règles ", qui régissent ce qui tient lieu de politique sont à l'intérieur du régime/forteresse : au sommet de l'Etat, le recrutement de type administratif de techniciens, dociles et sans autre point de vue que celui du Président. A l'égard de la société politique, toutes tendances confondues, ne prévaut que la règle selon laquelle " celui qui n'est pas avec moi est contre moi". Et les seuls moyens de régler les différends politiques oscillent entre contrainte morale, coercition physique et punition financière.
L'opposition au régime est qualifiée de trahison, signifiant la confusion entre l'intérêt général de la nation et les intérêts personnels des gouvernants. Dans ces conditions, le débat public rationnel sur la base de la liberté et du respect mutuel est inexistant.

3 - De nos jours, l'Etat de non-droit étend son emprise sur tous les domaines. Ses rouages, qu'ils soient ceux veillant au maintien de l' " ordre " - administration, police et justice - ou ceux véhiculant sa propagande sous couvert d' " information ", sont enrôlés et impliqués à grande échelle dans une vaste entreprise d'appropriation privée, de privatisation de l'Etat.
Inaugurée et exercée par Bourguiba, la confusion entre la fonction du Chef de l'État et la personne de son titulaire prenait sa racine dans la direction charismatique d'un leader qui pouvait prétendre à une légitimité historique, surestimée mais réelle. En totale contradiction avec l'esprit républicain, elle avait malheureusement abouti à une gestion paternaliste du pouvoir politique. Aujourd'hui, s'est opéré un autre glissement : au pouvoir paternaliste s'est substitué un pouvoir patrimonial ; le père jaloux pour ses enfants a laissé la place au fils jaloux de son bien, la Tunisie. Cette " privatisation "de l'Etat a vu la chose publique passer de la gestion autoritaire mais institutionnelle, au bon plaisir, à l'humeur, à l'influence et aux intérêts de cercles privés et informels, liés au Palais.
Il est grand temps de restituer à la politique sa dignité, et à l'Etat son caractère public et anonyme; en somme, rendre l'Etat à l'Etat.

4 - Les deux traits majeurs caractérisant le régime actuel, la négation du politique et la privatisation de l'Etat, sont les effets d'un système politique qui n'a fait que se détériorer, condamnant le régime à "une fuite en avant ". La chance de la Tunisie a été de disposer, dès l'avènement de l'indépendance, d'une élite politique patriotique, populaire, urbaine et moderniste qui a eu le souci de restaurer un État dont la faiblesse historique avait été l'une des causes fondamentales de la colonisation. C'est à Bourguiba et à cette intelligentsia qu'on doit, lors de ce moment inaugural, les choix stratégiques les plus hardis et les réformes sociales les plus novatrices et progressistes dans le monde arabe, choix stratégiques dont il faut se féliciter qu'ils n'aient pas été remis en cause après 1987 :
- L'émancipation de la femme qui a permis de libérer lesTunisiennes en les faisant participer aux cotés des hommes à l'effort national de développement, est aujourd'hui largement instrumentalisée par l'Etat alors qu'une vigilance particulière s'impose afin d'améliorer leurs acquis, notamment pour une égalité réelle et une citoyenneté effective.
- Le programme de planification familiale, qui a permis aux femmes (et aux hommes) de maîtriser leur destinée épargnant au pays une croissance démographique démesurée par rapport à son modeste potentiel économique ;
- Le choix de consacrer l'essentiel des ressources de l'Etat à l'éducation, à la formation et à la santé.
Parallèlement à cette politique, le pouvoir a mis en place un dispositif sécuritaire et juridique autoritaire qui a survécu à ses initiateurs. Politiquement, et assez rapidement, sous le prétexte de sauvegarder l'unité nationale dans un pays qui ne connaît pourtant pas de clivages ethniques ou religieux, a été instauré un parti unique, changeant souvent d'appellation, confondu avec l'Etat et satellisant les Organisations nationales qui encadrent les forces vives du pays. Seule l'Organisation des travailleurs (l'UGTT) a connu un tumultueux parcours oscillant entre allégeance et résistance, de 1956 à 1987 sous l'impulsion de leaders syndicalistes tels que Ahmed Ben Salah, Ahmed Tlili et Habib Achour. Très tôt se met en place ce système fermé. Il remplace le choix libre des dirigeants par la cooptation, compte sur la force plus que sur la concertation et impose le pouvoir personnel à l'institution étatique. Commence alors le déclin du politique qui débouche sur le triptyque : un Homme-un État-un Parti. Régime de fait, il sera formellement consacré par le droit.

5 - La Constitution tunisienne instaure un régime de séparation des pouvoirs et garantit les libertés publiques. Mais elle a cédé au domaine de la loi le soin de fixer les modalités des principes qu'elle a posés. Avec la complicité initiale des uns et la résignation des autres, le législateur a trahi les idéaux pour lesquels les " pères fondateurs " ont combattu et la pratique politique et administrative a aggravé cette dérive.
Les constituants ont instauré un régime de nette séparation des pouvoirs. Mais, dans les faits, le Président contrôle le Parlement à travers le parti. Car les candidats du parti, dont l'administration régionale garantit leur élection à une majorité de 99%, sont choisis par le Bureau politique présidé par le Chef de l'Etat.
Le pouvoir judiciaire n'est pas non plus indépendant. D'abord, le principe de l'inamovibilité des magistrats n'a jamais été posé. Les juges peuvent à tout moment être mutés. Ensuite, leur carrière est décidée par un Conseil supérieur de la magistrature dont la majorité des membres sont nommés par l'Exécutif. Dès lors, la Constitution a beau proclamer que la justice est indépendante, cette affirmation ne correspond à aucune réalité.
La Constitution garantit toutes les libertés publiques fondamentales et, en apparence, la loi ne fait qu'en fixer les modalités d'exercice. Ainsi, la publication des livres et des journaux et leur importation sont théoriquement libres. Ils ne sont pas soumis à la censure ni à une autorisation préalable. Ils sont simplement soumis à un dépôt légal. Ce régime s'applique à tous les imprimés, même une simple affiche électorale. Il en est de même des réunions publiques et de la constitution d'associations et de partis politiques. Mais, les Autorités politiques ont inventé des obstacles administratifs tels, que l'exercice de toutes ces libertés est bloqué.

6 - La libéralisation des années soixante-dix n'a porté que sur l'économie. Elle n'a jamais concerné la vie politique. Au cours de cette période, le système clos du pouvoir personnel de Bourguiba s'est définitivement imposé au détriment de tous, ses compagnons de lutte et ses opposants. Il a été verrouillé par l'institution de la Présidence à vie en 1975. Le propre de la République, n'est-il pas l'alternance au pouvoir consacrée par le suffrage populaire et non par la falsification des élections et l'auto-légitimation par des scores mythiques, comme ce fut le cas durant cette période. Au cours des années quatre-vingt, la soif de liberté était telle que la dictature n'était plus viable, la situation était explosive.

7 - Passer d'une légitimité personnelle et charismatique qui s'est érodée, à une légitimité démocratique, seule à même de gérer les tensions sociales sans endommager les équilibres sociaux, devenait une urgence nationale. Cette lame de fond a préparé le terrain à l'actuel Chef de l'État pour accéder au pouvoir. La déclaration du 7 novembre 1987 reprenait, presque mot pour mot, les revendications du mouvement démocratique. Ces revendications ont été, dans un premier temps, partiellement réalisées, dans un second temps, oubliées et, enfin, actuellement, ouvertement trahies. Progressivement, nous sommes aux vieilles méthodes que nous pensions révolues. Il n'y a plus de liberté. La police, dont les effectifs ont été démesurément augmentés, est toute puissante et omniprésente.

8 - Un changement radical est nécessaire. Restituer à la politique sa dignité et revenir à l'État de droit impliquent une modification dans la vision de la politique et une véritable réforme du fonctionnement de l'État et des institutions. La Tunisie en a un besoin urgent pour trois raisons fondamentales.
La première qu'il faut réaffirmer avec force est que le pays, pour l'indépendance duquel nombreux parmi les meilleurs de ses enfants ont sacrifié leurs vies, échoit à tout notre peuple en partage. Dans cet esprit, il n'appartient à aucune personne, quel qu'en soit le génie, à aucun parti quel qu'en soit la légitimité ou l'antécédence, à aucun clan si puissant soit-il, et a fortiori à aucune famille, de faire de ce bien commun, légué par les morts aux vivants, un patrimoine privé. De ce fait, l'avenir de la Tunisie, pour lequel nous sommes en devoir de nous inquiéter, est une responsabilité collective dont nous serons, tous, comptables devant les générations futures.
La seconde est de rappeler à la conscience de tous que les conflits politiques se règlent pacifiquement, par des moyens politiques. Il est inacceptable de continuer à les traiter par les tribunaux, l'emprisonnement, la torture, les insultes, le harcèlement et la coercition. Dès l'indépendance, le pouvoir a pris la fâcheuse habitude de régler les conflits politiques par la contrainte illégitime. Hier les Youssefistes, la gauche et les syndicalistes, aujourd'hui les islamistes et les démocrates.
La troisième raison est que, maintenant plus que jamais, la légitimité ne peut être acquise par la contrainte, la manipulation des règles de la compétition et le mépris du peuple, mais par les élections libres et transparentes. Le monde a changé. Il est temps d'étancher la soif de notre peuple pour la démocratie, le pluralisme, la liberté et la justice. La Tunisie, ancrée dans une histoire millénaire, est telle que les fondateurs de la République l'ont pensée, inscrite dans la modernité et ouverte au monde, conditions premières du progrès et du bien être. Ils se sont adossés à une légitimité patriotique réelle pour se permettre plus de pouvoir qu'il n'en fallait. Aujourd'hui, celle-ci est érodée, usée, en dépit du rituel de la référence incantatoire à leur lutte héroïque. Car l'unanimisme en politique est une supercherie inventée par la tyrannie, contraire à la nature humaine, qui est par essence libre, diverse et réfractaire à toute allégeance perpétuelle.

9 - La Tunisie, dont le peuple est ouvert et tolérant, disposant d'une classe moyenne importante et qui, grâce au labeur de ses enfants, connaît un développement économique non négligeable, a un besoin urgent d'une transition démocratique que nous souhaitons pacifique et négociée, la seule à même de nous faire sortir de l'impasse actuelle et d'épargner au pays, à bout de patience, de tomber désespérément dans une violence incontrôlable qui lui ferait perdre ses acquis. La Tunisie, riche d'une élite fortement éduquée, dispose de la structure sociale adéquate et des ressources intellectuelles nécessaires pour être fidèle à sa tradition d'ouverture, de réformisme et de constitutionnalisme.

10 - Cette tradition, inaugurée, dès le milieu du XIXe siècle, par les œuvres et les actions de Beyram V, Ibn Abi Dhiaf, Khéreddine, Thaalbi, et toute une pléiade de réformateurs, est inscrite dans les coeurs des Tunisiens. La question constitutionnelle se situe dans cette tradition. La Tunisie a été le premier pays arabe à élaborer le Pacte fondamental de 1857 qui garantit un certain nombre de droits et la Constitution de 1861 qui limite et codifie le pouvoir du Chef de l'Etat. Les premiers militants patriotiques s'en prévaudront jusqu'à susciter une consultation juridique, dite Weiss et Barthélemy, en 1921, qui avait conclu que la Constitution de 1861, qui n'avait été que suspendue suite à la révolte de Ben Ghadhéhim, pourrait être remise en vigueur. Les manifestants du 9 avril 1938, qui sont tombés nombreux en martyrs, scandaient " Parlement tunisien !". Ils inscrivaient leur combat dans la continuité de leurs prédécesseurs, les patriotes imbus des principes constitutionnels qui ont appelé le premier parti de lutte pour l'indépendance Parti Libéral Destourien (Constitutionnel), puis néo-Destour.

11 - Ce souffle a été dévoyé, trahi, bafoué par les gouvernants. Mais il anime la conscience de notre peuple et est notre repère. Il est notre lien avec notre histoire, notre ciment. Il est le statement de notre fidélité et de notre gratitude au combat des générations de réformateurs qui ont oeuvré pour la renaissance de notre pays. Nous nous en prévalons pour dire qu'il est des moments d'une exceptionnelle gravité dans l'histoire des nations et qu'à ne pas savoir les saisir, à ne pas les mettre à profit, les peuples entrent en régression durable. Aujourd'hui, la Tunisie qui assiste au dernier mandat constitutionnel du Président en exercice est à la croisée des chemins. Si la chape de plomb se perpétue, nous irons vers un nouveau mandat, ce qui, d'une manière déguisée, ouvre la voie à la présidence à vie dont la Tunisie a déjà fait l'expérience et qui se déroulera certainement dans des conditions plus douloureuses et plus dramatiques. Si, au contraire, sous la pression des forces patriotiques, la raison finit par prévaloir, les Tunisiens seront en mesure d'offrir à leurs enfants un pays dans lequel ils seront délivrés de la peur et de la tyrannie, un pays où ils pourront donner libre cours à leur générosité et à leurs potentialités créatrices.

Tunis, le 20 mars 2001



Liste des signataires du manifeste des démocrates tunisiens

1 - Hela Abdeljaoued, Médecin, ex-vice présidente de la LTDH
2 - Jounaidi Abdeljaoued, Universitaire
3 - Mohamed Abdeljaoued, Conservateur général
4 - Mehdi Adbdeljaoued, Universitaire, ex-Secrétaire Général du syndicat national de l'enseignement supérieur
5 - Georges Adda, Consultant
6 - Abdelkarim Allagui, Universitaire, ex-Vice Président de la LTDH
7 - Sami Aouadi, Universitaire
8 - Abdelmajd Attia, Ecrivain
9 - Abderraouf Ayadi, Avocat, membre de l'ordre national des avocats de Tunisie (section de Tunis)
10 - Fethi Ayari, Journaliste
11 - Mongi Azzabou, Universitaire
12 - Jalloul Azzouna, Universitaire
13 - Mounir Baccouche, Universitaire
14 - Mohamed Bechr, Universitaire
15 - Bochra Bel Haj Hmida, Avocate
16 - Brahim Belarbi, Agriculteur
17 - Adnane Belhajh Amor, Economiste
18 - Souheir Belhassen, Journaliste
19 - Tahar Belhassine, Chef d'entreprise
20 - Mohamed Ali Belkadhi, Artiste plasticien
21 - Tarek Ben Hiba, Fonctionnaire, animateur associatif, syndicaliste
22 - Monia Ben Jemai, Universitaire
23 - Faouzi Ben Mrad, Avocat, ex-Secrétaire Général de l'association tunisienne des jeunes avocats
24 - Ali Ben Romdhane, Ex-membre du bureau exécutif de l'UGTT
25 - Mahmoud Ben Romdhane, Universitaire
26 - Hamadi Ben Saïd,Journaliste
27 - Sihem Ben Sedrine, Journaliste
28 - Mourad Blibech, Avocat
29 - Rached Bouaziz, Universitaire
30 - Ahmed Brahim, Universitaire
31 - Mohamed Chakroun, Avocat, ex-Bâtonnier
32 - Alia Chamari, Avocate
33 - Khemaïs Chammari, Consultant, Ex-Secrétaire général de la LTDH, ex-député
34 - Abdelmajid Charfi, Universitaire
35 - Mohamed Charfi, Universitaire, ex-président de la LTDH
36 - Mondher Charni, Avocat
37 - Mahmoud Chelbi, Artiste plasticien
38 - Mouhieddine Cherbib, Animateur associatif
39 - Khédija Cherif, Universitaire
40 - Raouf Chérif, Médecin universitaire
41 - Larbi Chouikha, Universitaire
42 - Hechmi Dhaoui, Psychiatre
43 - Hichem Djaiet, Universitaire
44 - Mongi Ellouze, Gérant de société
45 - Oumaya Essedik, Chercheur en sciences politiques
46 - Abderrazak Fehri, Artiste peintre
47 - Chérif Ferjani, Universitaire
48 - Abdellatif Fourati, Journaliste
49 - Fakher Gafsi, Avocat
50- Hichem Gribaa, Economiste, ex-Vice Président de la LTDH
51 - Selma Hajri, Médecin
52 - Ayachi Hammami, Avocat
53 - Raouf Hamza, Universitaire
54 - Tijani Harcha, Consultant
55 - Ali Horchani, Médecin universitaire
56 - Melika Horchani, Universitaire
57 - Nadia Jamal, Médecin
58 - Jilani Jeddi, Avocat
59- Kamel Jendoubi, Directeur d'organisme de formation et animateur associatif
60 - Mohamed Jmour, Avocat, membre de l'ordre national des avocats de Tunisie (section de Tunis)
61 - Hedia Jrad, Universitaire
62 - Mounir Kchaou, Universitaire
63 - Mohamed Kerrou, Universitaire
64 - Abderrazak Kilani, Avocat-Membre du conseil national de l'ordre des avocats de Tunisie
65 - Mustapha Kraiem, Universitaire
66 - Bechir Laarabi, Médecin-universitaire
67 - Abdelhamid Larguèche, Universitaire
68 - Lotfi Larguet, Universitaire
69 - Abdennour Maddahi, Ex-membre du bureau exécutif de l'UGTT
70 - Dorra Mahfoudh, Universitaire
71 - Azzam Mahjoub, Universitaire
72 - Ali Mahjoubi Universitaire
73 - Ilhem Marzouki, Universitaire
74 - Moncef Marzouki, Médecin universitaire, ex-président de la LTDH, ancien porte-parole du CNLT
75 - Mehdi Messaoudi, Universitaire
76 - Hafedh Mestiri, Médecin universitaire
77 - Abdelaziz Mezoughi, Avocat
78 - Ezzeddine M'hedbi, Universitaire - Avocat
79 - Skandar Mrad, Médecin universitaire
80 - Ali Noureddine, Universitaire
81 - Ahmed Othmani, Consultant
82 - Hamadi Redissi, Universitaire
83 - Salem Rejeb, Ex-Député
84 - Med Nouri Romdhane, Universitaire
85- Ali Romdhane, Ex-Directeur Général d'administration centrale
86 - Mahmoud Safi, Universitaire
87 - Hichem Skik, Universitaire
88 - Chawki Tabib, Avocat, Président de l'organisation arabe des jeunes avocats, Président de l'association tunisienne des jeunes avocats
89 - Samir Taieb, Universitaire
90 - Mohamed Talbi, Ecrivain, ex-Doyen de Faculté
91 - Hédi Timoumi, Universitaire
92 -Mokhtar Trifi, Avocat, Président de la LTDH
93 - Souad Triki, Universitaire



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POLITIQUE - A LA UNE


Communiqué

Lundi 19 mars 2001

1- La Tunisie est confrontée à une crise grave, profonde et généralisée, illustrée, notamment, par la détérioration du climat politique et par l'absence apparente de perspectives. Cette situation découle des choix politiques du pouvoir et de ses pratiques arbitraires et répressives sous la supervision directe et le suivi quotidien du Chef de l'Etat Zine El Abidine Ben Ali.

2- Le régime en place est un pouvoir personnel, despotique, dictatorial et policier qui met tout en Ïuvre, de façon constante et à tous les niveaux, pour marginaliser, récupérer, instrumentaliser, isoler et écarter les forces vives de la nation, à travers une stratégie sécuritaire globale visant à surveiller et à quadriller tout ce qui bouge au sein de la société. Dans le même temps, cette stratégie s'efforce de faire avorter toutes les tentatives, individuelles ou collectives, de changement et de réforme, l'objectif recherché de façon déterminée et opiniâtre étant d'imposer l'hégémonie absolue de l'Etat sur la société.

3- Cette situation a conduit à éliminer toute possibilité de mise en Ïuvre d'une vie politique pluraliste digne de ce nom. Cela s'est traduit par l'absence quasi totale d'une information fiable et sereine, de partis politiques, d'Organisations et d'associations populaires représentatives, d'élections loyales et sincères d'une justice indépendante et d'un discours officiel crédible.

4- La richesse nationale a été mise en coupe réglée par un système de type mafieux qui en a fait la chasse gardée d'un nombre restreint de familles privilégiées en raison de leur proximité avec les centres de décision névralgiques de l'Etat. Aucune transparence et aucune mise en conformité de la gestion du bien public avec les règles de droit et avec les procédures de contrôle populaire ne sont dès lors possibles.

5- La conjugaison de tous ces facteurs a conduit à une détérioration de l'image de notre pays à l'étranger dans tous les milieux et auprès des institutions médiatiques ou humanitaires officielles, aussi bien au niveau régional qu'international. Cela a rejailli négativement sur la crédibilité de notre pays dont le rôle et le rang ont subi de sérieux préjudices en dépit des tentatives de diversion orchestrées par le pouvoir. L'avis de recherche lancé récemment, à la suite d'une plainte d'un citoyen tunisien, par un magistrat suisse à Genève contre l'ex-ministre de l'Intérieur Abdallah KALLEL constitue une édifiante illustration de la dégradation de l'image de notre pays dans le monde à la suite de la politique répressive pratiquée par le pouvoir.

6- Cette politique répressive a été marquée au cours des derniers mois par une escalade qui en a accentué, au quotidien, la violence et le caractère systématique.
A cette fin, l'Etat a mobilisé un appareil de sécurité tentaculaire et brutal, un système d'information propagandiste et hypocrite et des institutions judiciaires dépourvues de toute indépendance au point de constituer des outils dociles pour réprimer les forces démocratiques dans la diversité de leurs appartenances et de leurs sensibilités.
La répression à laquelle la Ligue tunisienne de défense des droits de l'homme (LTDH) et le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) sont confrontés depuis quelques temps constitue une saisissante illustration de cette offensive qui s'est traduite par une recrudescence des actes de harcèlement et de persécution allant jusqu'aux agressions physiques brutales en pleine rue.

7- A cette occasion, nous réitérons l'expression de notre soutien total à ces deux institutions nationales dont nous saluons la détermination et l'esprit de résistance de leurs militantes et militants. Tout comme nous réaffirmons notre ferme solidarité avec plus d'un millier de détenus politiques du mouvement ENNAHDHA qui font face depuis une décennie à un processus prémédité de mort lente dans les geôles du pouvoir. Leurs familles ainsi que les milliers d'anciens détenus et leurs proches sont, de leur côté, l'objet d'une politique systématique d'encerclement et de privations visant à les affamer.
Notre solidarité englobe aussi les militantes et les militants du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et ceux des Organisations étudiantes qui font face aux persécutions du pouvoir et à sa politique répressive.
Et, par delà celles et ceux auxquels nous venons de nous référer, notre solidarité agissante s'adresse à tous les militants qui luttent pour la liberté dans la diversité de leurs instances politiques ou relevant de la société civile.
8- A cette escalade dans la politique répressive et à la priorité donnée de façon irréversible à l'approche sécuritaire et policière dans le traitement de tous les dossiers et dans les rapports avec les forces vives de la société, s'ajoutent l'acharnement à faire taire toute voix divergente ou opposante et la censure draconienne imposée aux organes d'information.

Dans ces conditions, les objectifs recherchés sont les suivants :
1. Occulter l'évocation publique des faits ayant trait à la corruption qui gagne en ampleur, particulièrement au niveau des sphères supérieures du pouvoir avec la systématisation des prébendes, du clientélisme, des marchés suspects du commerce parallèle et de l'enrichissement illicite que sont autant de pratiques qui se développent au détriment des richesses nationales.

2. Tenter de faire l'impasse et le silence absolu sur les méfaits commis par les appareils de répression de façon systématique, permanente et brutale, en matière de violation des Pactes et Conventions souscrits par la Tunisie et ayant trait aux droits de l'homme à l'égard, notamment, de tous ceux qui seraient tentés de faire état de critiques ou d'oppositions, quelle qu'en soit l'appartenance ou l'orientation politique.

3- Imposer la volonté, aujourd'hui évidente, du Chef de l'Etat Zine El Abidine Ben Ali à se porter candidat aux prochaines élections présidentielles de 2004, foulant aux pieds les dispositions sur ce point de la Constitution tunisienne et reniant ses engagements du 7 novembre de mettre définitivement un terme à la comédie de la présidence à vie.

4- Au regard de ces conditions, il apparaît clairement que l'opposition à ces choix politiques nécessite :
- Une prise de position ferme et publique de refus de cette candidature inconstitutionnelle pour l'échéance des élections présidentielles de 2004,
- La dénonciation de la corruption et de ceux qui en sont les vecteurs et les bénéficiaires,
- S'opposer à la mondialisation dans sa facette sauvage, antisociale et inhumaine.
Les ripostes sur ces trois plans constituent des priorités nationales autour desquelles les forces démocratiques et patriotiques ont l'obligation de se mobiliser en toute responsabilité.

5- La situation intérieure et extérieure, à laquelle notre pays est ainsi confronté, impose à toutes les forces patriotiques qui militent pour la démocratie, les libertés publiques et les droits de l'homme, à l'intérieur du pays et à l'étranger, de se mobiliser, sans exception ni exclusion aucune, pour assumer pleinement leurs responsabilités sur la base des principes suivants :
1. Fonder l'engagement intellectuel et l'action politique -qu'il s'agisse des forces au pouvoir ou des composantes de la société- sur le rejet de toute forme de violence, de terrorisme, d'hégémonie et d'exclusive.
Cela suppose une adhésion sans faille à la démarche démocratique dans le cadre d'un régime républicain fondé sur l'Etat de droit et des institutions démocratiques et respectueux des libertés publiques, des droits de l'homme, de l'identité arabo-musulmane de notre société et de ses valeurs civilisationnelles.
2- Dans ce cadre, soutenir et renforcer les avancées positives et les acquis que notre société a réalisés dans un certain nombre de domaines, tels l'enseignement, les droits de la femme et l'égalité entre les sexes.
3- Poursuivre avec constance la lutte démocratique d'ensemble en vue de la réalisation des aspirations justes et légitimes de notre peuple et, notamment : - La promulgation d'une loi d'amnistie générale, la libération de tous les détenus politiques et le retour de tous les exilés.
- L'organisation d'un large dialogue national ouvert à toutes les forces patriotiques agissant sur la scène nationale en vue de parvenir à la définition d'une alternative démocratique, véritablement pluraliste et bénéficiant d'une réelle crédibilité populaire et politique, à opposer au "changement en trompe - l'Ïil", à la perpétuation du parti unique et à la présidence royale.
- Préparer le terrain à l'organisation d'élections présidentielles et législatives pluralistes qui permettent à notre peuple de choisir en toute liberté ses représentants, dans le cadre de consultations électorales qui donnent aux urnes la crédibilité populaire qu'elles ne sont pas parvenues à acquérir, de l'indépendance à nos jours.
4- Compte tenu de l'importance de ces aspirations et conformément aux aspirations légitimes de notre peuple et à son passé de luttes, nous lançons un appel insistant et urgent à l'ensemble des forces patriotiques et démocratiques, sans exception ni exclusive, afin d'unifier nos rangs et de liguer nos efforts pour construire un front patriotique et démocratique fondé sur la défense des libertés publiques et des droits de l'homme.
L'objectif est de parvenir à promouvoir les libertés et les droits de l'homme à travers la lutte politique et la résistance populaire civile afin de jeter les bases de la véritable alternative démocratique à laquelle nous aspirons.
Un peuple souverain, un Etat de droit aux institutions légitimes, la liberté d'expression et d'association, des élections libres, transparentes et périodiques comme seule base de reconnaissance de la légitimité d'un pouvoir, sont des principes non négociables
Il s'agit d'un appel ouvert et susceptible d'évoluer sur la base du mot d'ordre "tous les droits à tous les citoyens" ainsi que celui qui consiste à "exercer nos choix sans attendre qu'ils soient octroyés".


Les signataires :
M. Mohammed MOAADA,
Président du Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS)
M. Rached GHANNOUCHI
Président du Mouvement ENNAHDHA





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MIEUX VAUT LE DIRE




JUGEONS-LES !





LE CONSEIL DES LIBERTES DEVOILE
LA LISTE DE TORTIONNAIRES
Personnes impliquées dans la torture en Tunisie
selon les critères définis par l'article 1 de la Convention
internationale contre la torture




Fonctionnaires de la sûreté nationale
(Première liste)


  • Ezzedine Jenayeh
  • Hassen Abid
  • Ali Mansour
  • Moncef Ben Guebila
  • Hamadi Hless
  • Ridha Chabbi
  • Abdelhafidh Tounsi
  • Mahmoud Ben Amor
  • Amor Sellini
  • Mahmoud Jaouadi
  • Bechir Saïdi
  • Zied Gargouri
  • Abderrahman Gasmi
  • Mohamed Tahar Oueslati
  • Jamal Ayari
  • Abdelfattah El Adib
  • Abdelkarim Zammali
  • Mohamed Gabous
  • Mohamed Moumni
  • Adel Tlili
  • Hamouda Farah
  • Imed Daghar
  • Rachid Ridha Trabelsi
  • Mourad Labidi
  • Officiers et agents de l'administration pénitentiare
    (Deuxième liste)


  • Ahmed Hajji
  • Toumi Sghaïer Mezghani
  • Jedidi Aloui
  • Nabil Aïdani
  • Ahmed Riahi
  • Karim Bel Haj Yahia
  • Habib Alioua
  • Ali Ben Aïssa
  • Slaheddine
  • Bechir Najjar
  • Hedi Zitouni
  • Mourad Hannachi
  • Hedi Ayari
  • Ridha Belhaj
  • Amor Yahiaoui
  • Sadok Belhaj
  • Abdelrahmane Aïdoudi
  • Salah Rabhi
  • Ali Chouchane
  • Hichem El Ouni
  • Jamel Jerbi
  • Sami Kallel
  • Henda Ayadi




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    POLITIQUE - A LA UNE


    Pour une citoyenneté souveraine

    A l'initiative du groupe du Forum démocratique pour le travail et les libertés, cette pétition a été rédigée et signée par 273 personnes à la cloture de la première liste de signataires le 20 mars. Parmi ceux-là, 60 universitaires, 20 avocats dont 2 anciens bâtonniers, 80 enseignants, une vingtaine de syndicalistes, une dizaine de médecins, 5 journalistes, etc...

    La Tunisie vit aujourd'hui un sous développement politique en contradiction totale avec l'évolution de son peuple. Cela est dû, essentiellement à l'autoritarisme du pouvoir et sa monopolisation de l'espace public. Pour imposer ce monopole tout au long des dernières années le pouvoir a usé de tous les moyens, n'hésitant pas à recourir à la répression des libertés fondamentales et à la violence, instrumentalisant l'institution judiciaire et l'appareil de sécurité pour résoudre les conflits politiques qui l'opposent à ceux qui ne partagent pas ses vues.
    En l'absence de mécanismes démocratiques et de moyens de contrôle de la gestion des biens publics, la crise du système politique s'est répercutée dans le domaine économique, favorisant le clientélisme, la corruption et le népotisme. Une profonde crise de confiance sépare désormais un pouvoir qui a choisi la solution sécuritaire et placé le peuple sous tutelle, en vue de "pacifier" le pays, et un citoyen, écarté de toute participation à la chose publique, oscillant entre colère sourde ou déclarée d'un côté, et indifférence compensée par une frénésie de consommation de l'autre. Les signataires de la présente pétition, par delà leurs différences politiques, idéologiques et sociales,
    - soucieux de l'intérêt supérieur de la nation et attachés aux fondements du régime républicain,
    - convaincus que le peuple tunisien, riche de ses potentialités créatrices et de ses forces vives, est en mesure de relever les défis de demain,
    - alertés du danger que représente, pour l'avenir de la société, l'autoritarisme politique et son corollaire, la tutelle imposée au peuple, - convaincus que des réformes audacieuses et radicales sont devenues une urgence.
    Ils appellent notamment à :
    . Promulguer une loi d'amnistie générale. Celle-ci permettrait d'assainir le climat politique en libérant les prisonniers d'opinion, en tournant la page des procès politiques et des poursuites judiciaires engagées contre les opposants et les militants des droits de l'homme, et en mettant un terme au harcèlement et à la surveillance serrée de leurs domiciles et de leurs locaux.
    . Abroger les lois qui étouffent les libertés publiques et individuelles; lever les obstacles qui entravent l'exercice des libertés d'expression et d'organisation tant pour les partis et les associations, que pour les journaux et publications. Ces mesures sont indispensables pour dépasser l'actuel pluralisme de façade fondé sur la règle de l'allégeance et instaurer un pluralisme politique effectif.
    . Rendre effective la séparation entre les appareils de l'Etat et du parti au pouvoir par des mesures concrètes et tangibles garantissant la neutralité de l'administration.
    Ces mesures doivent être le point de départ d'un processus qui permettrait au citoyen de recouvrer sa citoyenneté. Elles constituent la plate-forme indispensable à l'organisation des élections présidentielles et législatives prévues pour 2004. Ces élections sont particulièrement importantes car elles vont mettre le pays devant un choix fondamental : ou s'engager dans un processus de démocratisation réelle ou s'enfoncer davantage dans la crise avec tous les risques de dérapage qu'elle comporte.
    Comme le stipule l'article 39 de la Constitution, les prochaines élections doivent apporter un changement à la tête de l'Etat, mais elles n'auront aucune signification tant que le monopole de l'Etat-parti sur tout le champ de la vie publique se poursuivra, tant que toute activité autonome politique, associative ou syndicale sera criminalisée, tant que la liberté d'expression et d'association sera réprimée.
    Voilà 45 ans que la Tunisie est indépendante. Et l'indépendance ne peut être réduite à l'évacuation de la domination étrangère ; elle signifie surtout que le peuple doit recouvrer sa souveraineté, exercer son droit à gérer ses affaires et choisir ses représentants et ses gouvernants en toute liberté.
    C'est pour cela que les signataires de cette pétition appellent à procéder à l'évaluation de ces 45 dernières années (réussites et défaillances) dans le cadre d'une conférence réunissant les forces éprises de démocratie afin de définir les nouvelles règles qui doivent régir les rapports entre l'Etat et la société et de proposer les réformes des Institutions qui s'imposent.



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    A LA UNE


    Affaire Abdallah Kallel
    Avis de recherche

    < font size="4"> Il y a quelques jours, la police suisse a lancé un mandat d'arrêt à l'encontre du ministre tunisien Abdallah Kallel, responsable, parmi d'autres, de l'appareil répressif du régime issu du coup d'Etat du 7 novembre 1987. L'enquête policière suisse a abouti à la constatation de la fuite du prévenu de l'hôpital de Genève vers une destination inconnue.
    Du fait que ce grand criminel n'a pas donné jusqu'ici signe de vie en Tunisie, il y a de grandes chances qu'il se trouve encore en Europe, peut-être même en Suisse.
    C'est pourquoi il est du devoir patriotique de tout Tunisien et de tous les amis de la Tunisie, de nous aider à localiser le fugitif grâce au portrait que nous mettons à votre disposition.Toute personne qui réussit à identifier ce fugitif qui, précisons-le, vient d'être opéré du coeur courant février, est priée de nous contacter en urgence afin qu'on puisse alerter les Autorités judiciaires compétentes. En nous vous en remerciant à l'avance.

    Mondher Sfar, CCTE, Tel : 33 (0)6 6429 8999

    Rapport sur l'état des libertés en Tunisie-

    Texte de la plainte déposée le 9 août 1991 " par les héritiers d'Abderraouf B.Khémaïs B. Sadok Laribi contre Monsieur Abdallah Kallel, ministre de l'Intérieur et toutes personnes que l'enquête révèlera "

    Plainte pour homicide volontaire Monsieur le Procureur de la République auprès du Tribunal de Première Instance.

    Nous vous saississons des faits suivants :
    Attendu que le défunt Abderraouf B. Khémaïs B. Sadok Laribi né au Bardo le 08/02/1958, professeur d'enseignement secondaire de son état, a été arrêté par des agents de la police le 3 mai 1991 à midi environ alors qu'il quittait le lycée où il enseignait (lycée privé El Ghazeli dans le quartier de Halfaouine). Le même jour, à 16 heures environ, 3 agents de police en civil du service de la Sûreté de l'Etat sont venus pour opérer une perquisition au domicile du défunt à la rue de Tunis numéro 15 Bardo.
    L'un d'entre eux a déclaré à la femme du défunt au cours de la perquisition "Nous avons arrêté Abderraouf dans le but d'obtenir un engagement de sa part".
    Attendu qu'après cette constatation, la famille du défunt a contacté les autorités de la police concernée, mais sans obtenir de réponse convaincante sauf qu'aucune information ne peut être donnée concernant les "croyants". Dans cette situation et après les 4 jours de garde-à-vue, la femme du défunt a présenté une plainte avec une demande d'examen médical, demande enregistrée au Bureau d'ordre sous le numéro 54204/5 en date du 8 mai 1991. A la même date, cette plainte a été transmise au directeur de la Sûreté du district de Tunis pour faire ce qui est nécessaire à ce sujet; la plainte n'a connu aucune suite à ce jour.
    Attendu qu'à la date du 27 mai 1991, à 17h environ, 2 agents en civil se sont présentés au domicile du père du défunt, qu'ils l'ont emmené avec eux au district de Bouchoucha, où le chef de circonscription l'a informé de la mort de son fils dans les locaux de la police du ministère de l'Intérieur. Il l'a également informé que les funérailles sont prévuées pour la matinée du 28 mai 1991 à 7 heures et demi du matin au cimetière du Djellaz.
    Certains membres de la famille ont tenté de contacter les autorités de police par le biais d'un avocat, afin que les obsèques soient reportées, mais en vain. Ils ont par conséquent été obligés de se rendre le 28/05/91 au cimetière à une heure matinale.
    Vers 7h45, une ambulance militaire amenait le cercueil contenant le corps du défunt ainsi que 4 grosses voitures de police ayant à bord plusieurs agents de la Brigade d'Ordre Public et un nombre de voitures banalisées avec des agents en civil et une voiture Alfa-Roméo où se trouvait le Chef de Brigade de Bouchoucha qui avait informé le père du décès de son fils.
    Lors de la mise en terre de la dépouille du défunt, enveloppée dans une couverture militaire, son corps a été observé par ses parents ainsi que certaines personnes présentes dont Maître Abdelfattah Mourou qui a pu déceler sur son visage, son cou, ses épaules, et son torse, des hématones et des traces de violences. On a pu également voir des traces de violence et des plaies aux jambes. Le col de chemise de Maître Mourou a été tâché du sang provenant du cou du mort. Certains présents pensent que le défunt aurait eu une hémorragie interne, résultat de la violence subie par le défunt pendant l'interrogatoire.
    Attendu que les plaigants n'ont réussi à obtenir aucun document parmi les effets personnels du défunt, ni des vêtements, ni sa montre, ni sa serviette qu'il avait avec lui au moment de son arrestation. De même, ses proches n'ont pas réussi à obtenir des Autorités aucune pièce permettant d'accomplir les formalités en vue de l'obtention de l'acte de décès. De même au matin du 29 mai 1991, au moment où les parents du défunt se sont rendus au cimetière, ils ont trouvé 2 agents en civil et 3 agents en uniforme gardant la tombe du défunt qui venait d'être bâtie par la police. L'un des héritiers s'est adressé à eux pour demander que les documents nécessaires certifiant l'inhumation lui soient fournis. Il l'a renvoyé à l'hôpital Charles Nicolle pour obtenir un certificat médical et se faire délivrer une copie de son acte de décès. A l'hôpital, il découvrit que le défunt avait été enregistré. Ils se sont alors adressés au procureur de la République par le biais de Maître Mourou, Behiri et Zemzémi pour obtenir une copie du permis d'inhumer. Il s'avèra que l'inhumation a eu lieu sans permis d'inhumer.
    Nous demandons qu'une enquête soit ouverte à ce sujet et de déférer devant la justice la personne objet de cette plainte et toute personne que révèlera l'enquête, afin qu'ils soient jugés pour homicide avec préméditation, en vertu de l'article 204 du Code Pénal.



    Témoignage de Lotfi Hammami

    Cette douleur, je crois la sentir encore aujourd'hui. "Dans la nuit du 22 au 23 février 1998, après 48 heures de torture, j'ai été jeté dans une petite pièce avec une table et une chaise pour tout mobilier. Assis sur une chaise, la main gauche attachée à la table par des menottes, un homme, assis devant moi me surveillait : chaque fois que mes yeux se refermaient il me giflait. Je grelotais de tout mon corps, lorsque 5 personnes firent irruption dans la pièce. J'en reconnus deux qui m'avaient torturé dans ces mêmes lieux pendant 11 jours au courant du mois d'août 1996. L'un d'eux m'apostropha en ces termes : "Fils de pute! est-ce que tu vas enfin parler " Il me saissit par les cheveux et me tira vers l'arrière si violemment que la table s'est renversée. Je me retrouvais à terre avec la chaise. Mon poignet se foula et mon bras est resté enflé pendant longtemps.
    On me transféra dans un autre bureau où on m'ordonna de m'agenouiller ; je refusai de le faire. L'un d'eux s'avança alors vers moi pendant que j'étais adossé au mur et par un croque en jambes, me mit à terre. Il m'attrapa encore une fois par les cheveux et me traîna jusqu'au milieu du bureau. On m'arracha alors tous mes vêtements. Je tentai de résister mais ils m'attachèrent les mains derrière le dos avec des menottes. Ils m'assirent sur une chaise qu'ils renversèrent par derrière, de sorte que je me retrouvai le dos par terre et les jambes pendant par-dessus la chaise. L'un d'entre eux saisit alors un gros bâton qu'il appelait "messaouda" et me soumit à la "falaq ". Malgré le froid, mon corps était en sueur. Comme je hurlais de douleur on m'enfonça ma manche de chemise dans la bouche. Mes jambes s'enflèrent et des hématomes apparurent à plusieurs endroits de mon corps.
    On me releva m'obligeant à aller et venir dans la pièce puis on m'allongea entièrement nu, à même le sol. Je sentais ma fin approcher. Je ne pouvais plus contrôler mes mouvements... Celui-là même qui en 1996 me torturait, était chargé ce jour-là de m'interroger. Et, comme il était enrhumé, il me crachait de temps à autre sur la figure. Je sentais alors se dégager de ses crachats une odeur putride et des relents de pourriture. De temps en temps, il m'essuyait le visage avec mon pantalon, jeté sur le sol. Il évitait de me frapper n'importe comment, afin de ne pas laisser de traces. Par la suite, on m'assit sur la chaise, les mains toujours attachée derrière le dos. Je les voyais parfois entrer dans une colère noire ou rigoler tout en fixant mon corps nu. Puis, l'homme trapu, au ventre légèrement bedonnant, s'avança vers moi, un tuyau en plastique rouge plié en deux à la main et se mit à me cogner sur la tête. Puis, il me saisit brutalement par les cheveux et se mit à tourner autour de moi tout en m'assénant des coups sur le crâne à la manière dite de la "darbouka" jusqu'à ce que le sang se mît à gicler de mon nez. Pendant qu'il le faisait, les autres me maintenaient de tous les côtés pour m'empêcher de bouger. Je finis par m'évanouir pendant près d'un quart d'heure. Lorsque je repris connaissance, je m'aperçus qu'on m'avait remis seulement mon pantalon et injecté un produit suspect. On me ramena dans ma cellule, grelttant de froid, les pieds nus et on m'y laissa jusqu'au matin. Le 23 février à 8 heures, le gardien de nuit me remit à l'agent qui m'avait torturé pendant la nuit précédente et qui semblait saoûl. Depuis ce matin, je fus transféré dans la pièce appelée "balanco" où je fus suspendu plusieurs fois. Il se plaisait à me répéter, "même si tu crèves tu mourras comme un chien dans un tas d'ordure, car vois-tu personne ne sait encore que tu te trouves chez nous". Or, j'étais loin d'imaginer à ce moment-là que je pouvais vivre jusqu'à ce jour ; j'ai frôlé la mort plusieurs fois. Le sixième jour, alors que j'étais suspendu au "balanco", entièrement nu, l'un d'eux se tint debout près de moi -mais je ne pouvais pas alors distinguer clairement son visage- et se mit à balader sa main sur mes fesses en émettant des sons. J'avais la sensation d'être pendu par le cou ; je tentais de bouger mais je ne réussissais pas. Par la suite, on me remit par terre et on se mit à faire bouger mes mains et mes pieds, pendant que j'étais évanoui. Après une heure, ils ligotèrent mes mains avec un torchon et me suspendirent tandis que l'un d'eux me garrottait le sexe avec un fil dont je ne pouvais identifier la nature mais qui était tranchant, puis l'attacha à la table ; ce qui amena mon corps à se courber vers l'avant sans que je sois capable du moindre mouvement. La deuxième fois, le fil qui me garrottait toujours le sexe a été attaché à la porte, lorsqu'on la refermait, mon sexe était étiré et la douleur s'accentuait. L'opération de suspension durait chaque fois un quart d'heure mais ses effets se faisaient sentir pendant plusieurs heures. Cette douleur, je crois la sentir encore aujourd'hui "




    Abdallah Kallel


    Né en 1943, à Sfax,
    Diplômé de l'ENA de Tunis,
    Licencié en économie.

    Postes occupés

  • 1972 à 1973
    attaché de cabinet au ministère de l'Intérieur.

  • 1974 à 1980
    chef de cabinet auprès du ministre de la Défense. Participe le 26 janvier 1978 avec Ben Ali, alors Directeur Général de la Sûreté Nationale, à la sanglante répression de l'UGTT (plus de 200 morts).

  • 28 avril 1986
    Secrétaire général au ministère de l'Intérieur (Ben Ali est nommé ministre de l'Intérieur)

  • 7 nov 1987
    Participe avec Ben Ali au coup d'Etat contre Bourguiba; nommé le jour-même directeur du Cabinet présidentiel

  • avril 1988
    Secrétaire Général à la Défense (1 an) puis Ministre de la Défense.

  • 17 fév 91 - 24 jan 1995
    ministre de l'Intérieur, Le jour de sa nomination, il nomme le Général Ali Sériati au poste de Directeur de la Sûreté, puis le 10 octobre 1991 Kallel est nommé au poste de ministre d'Etat chargé de l'Intérieur.

  • 24 jan 95 - jan 97
    ministre d'Etat conseiller auprès du Président.

  • janvier 97
    ministre de la Défense.

  • 17 nov 99 - 26 jan 2001
    ministre de l'Intérieur



    Liste des ministres de l'Intérieur depuis le coup d'Etat du 7 novembre 1987

  • - 7 novembre 1987
    Habib Ammar

  • - octobre 1988
    Chadly Naffati

  • - 1989
    Abdelhamid Escheikh

  • - 17 février 1991
    Abdallah Kallel

  • - 24 janvier 1995
    Mohamed Jegham

  • - janvier 1997
    Mohamed Ben Rajab

  • - octobre 1997
    Ali Chaouch

  • - 17 nov 1999
    Abdallah Kallel

  • - 26 janvier 2001
    Kaabi

    Voir également "L'Audace" n¡ 65-66, Juillet-Août 2000, pages 34 et 35 : "Témoignage d'un ancien autre torturé détenu politique, victime de la torture en Tunisie Naït-Liman Abdennacer, réfugié politique à Genève en Suisse. C'est lui qui le premier déposa plainte contre le tortionnaire Kallel, lors de son hospitalisation à Genève. Sa plainte a été jugée recevable par le procureur général Bertossa. Ce qui précipita la fuite de l'ancien ministre.




    Un ministre tunisien échappe provisoirement à la justice

    Le mardi 13 février 2001, des Tunisiens réfugiés en Suisse, victimes de tortures dans les années 1990, apprenaient que Monsieur Abdallah Kallal, ancien ministre de l'Intérieur se trouvait à Genève où il avait reçu des soins à l'hôpital cantonal. Une au moins de ces personnes ayant subi des tortures au printemps 1992 dans les locaux du ministère, alertait immédiatement l'OMCT en vue d'étudier les possibilités existant de faire poursuivre l'auteur présumé devant la justice suisse.
    Le 14 février, Me François Membrez déposait plainte pénale contre M. Abdallah Kallel auprès des autorités judiciaires genevoises au nom de M. Abdennacer Naït-Liman, réfugié statutaire en Suisse. Parallè-mement, plusieurs victimes réfugiées en Suisse, en France et en Allemagne, ayant subi des exactions de la part de la même personnalité, constituaient des dossiers dans l'espoir de voir la justice suisse juger et sanctionner l'auteur présumé des faits.
    Il faut rappeler que conformément à la Convention contre la torture des Nations unies, ratifiée tant par la Suisse que par la Tunise, un auteur présumé d'acte de torture peut et doit être poursuivi dans un pays partie à la Convention, ce qui est le cas de la Tunisie et de la Suisse. En d'autres termes, la justice genevoise peut entendre et juger une personne accusée de torture qui se trouverait sur son territoire et qui remplirait les conditions décrites ci-dessus.
    Malgré la célérité des autorités saisies du dossier, l'ancien ministre tunisien de l'Intérieur parvint à quitter la pays le jeudi 15 février et à rentrer en Tunisie. A son arrivée, cet ancien ministre (qui avait été destitué le 23 janvier 2001 lors d'un remaniement ministériel, vraissemblement pour apaiser les presions internationales sur la Tunisie concernant les atteintes massives aux droits de l'homme) s'est vu promu ministre conseiller auprès du président Zine El Abidine Ben Ali. Curieusement, les journaux tunisiens du 16 février font remonter cette nomination au 23 janvier, quand bien même son nom n'apparaît pas dans la liste des membres du gouvernement promulguée ce jour-là.
    Les victimes ont décidé de saisir le comité contre la torture des Nations unies afin d'éviter que cet auteur présumé n'échappe à toute sanction et bénéficie de l'impunité. Dans ce contexte, les dossiers préparés pour la justice suisse permettront d'étayer les démarches effectuées auprès du Comité contre la torture.

    OMCT, Genève,
    19/02/2001






    Mohamed Zitouni, ancien agent de police, demandeur d'asile en zone d'attente de l'Aéroport de Zurich, est enfin admis sur le territoire suisse

    Quatorze jours après son arrivée à l'Aéroport de Zurich le 2 mars 2001, Mohamed Zitouni, ancien agent de police tunisien, a été admis sur le territoire suisse pour procéder à sa demande d'asile.
    De sources sûres, les Autorités suisses avaient pris, dans un premier temps, la décision de l'extrader vers la Tunisie. Mais, la procédure exige heureusement l'avis du HCR. Celui-ci a été contacté par nos soins pour l'informer du cas et de la nécessité absolue de s'opposer à l'extradition du requérant. Après examen, et après l'intervention de multiples ONG locales et étrangères, l'avis du HCR a été favorable à la demande de Mohamed Zitouni.
    Rappelons que celui-ci a été victime de violences, de menaces, de persécution policières et de répression économique suite à son refus de participer à l'usage de la torture et à la dénonciation du mouvement islamiste tunisien. Cette attitude courageuse et civique, lui a valu d'être licencié par arrêté pris par le ministre de l'Intérieur Mohamed Ben Rejab en date du 11 mars 1997.
    Nous nous félicitons de cette décision ultime des Autorités suisses. Nous remercions tous ceux qui ont contribué à cette fin heureuse dans cette dramatique affaire.
    Nous adressons tout particulièrement nos remerciements les plus chaleureux et les plus vifs à Mme Weidman, animatrice de l'association suisse Augenoff, pour son dévouement et son travail.

    CCTE - P/Le Bureau ,
    Mondher Sfar,
    16 mars 2001






    Le communiqué de Abdennacer Naït-Liman

    Le dénommé Abdallah Kalled était ces derniers jours à l'hôpital cantonal de Genève, pour une intervention chirurgicale. De l'avis de tous, Kallel, ancien ministre tunisien de l'Intérieur, est considéré unanimement comme le commanditaire des actes de torture perpétrés par et au sein même de son ministère qui servait de lieu d'interrogatoires et de détentions provisoires. Il y eut morts d'hommes avec plus de 30 cas de décès sous la torture.
    Dès réception de l'information, une plainte, pour crimes de torture, a été déposée auprès des Autorités suisses, par le biais de Me François Membrez du Barreau de Genève et avec le soutien de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), le 14 février 2001 à 12h. Aussitôt, le jour même, un avis de localisation et de recherche a été lancé contre le dénommé Kallel. Très vite, on a appris que ce criminel avait pris la fuite en quittant l'hôpital de Genève sans qu'il ait été possible de connaître la destination.
    J'attaque Abdallah Kallel pour sa responsabilité directe dans ce qui m'est arrivé à l'intérieur des bâtiment abritant ses propres bureaux, et ce, pendant une quarantaine de jours à partir de mon arrestation à Parme en Italie, et mon extradition le 22 avril 1992 par les Autorités italiennes vers la Tunisie, suite à sa demande expresse. Je suis arrivé à cette date sur un vol Tunis Air à l'aéroport de Tunis-Carthage où des agents de la sûreté de l'Etat (DST) m'attendaient. On m'a emmené directement au ministère de l'Intérieur où ils m'ont fait asseoir sur une chaise et ont commencé à me donner des coups sur le visage et sur la tête. Ils étaient à peu prés 7 à 8 personnes à m'entourer et à proférer des insultes et des mots grossiers et orduriers. Puis, ils m'ont déshabillé de force, attaché les mains et les pieds avec une corde et ils m'ont mis dans la position dite du "poulet rôti", où j'étais suspendu à une barre de fer par les bras liés dans le dos, alors que mon corps basculait dans le vide, la tête en bas. L'on s'est mis à m'asséner des coups de bâton sur la plante des pieds, je ne cessais de hurler de douleur. Je les ai suppliés d'arrêter et je leur ai dit que je leur dirai tout, mais ils n'ont rien voulu savoir. Ils se sont ensuite relayés pour me frapper sans interruption. J'ai enduré les coups de toutes sortes tout l'après-midi. Je suis resté ainsi dans cette position jusqu'à la tombée de la nuit. Je criais et me débattais. Après, j'ai été jeté dans une cellule. Le deuxième jour, j'ai été réveillé très tôt le matin et soumis à des interrogatoires intenses et des sévices plus brutaux que la veille. J'ai ensuite été reconduit dans la salle de torture. Cette fois, en plus des techniques de la veille, j'ai eu droit à un simulacre macabre: on menaçait de me tuer et de jeter mon corps dans le port, sous prétexte que je me serais noyé en tentant de m'enfuir. Le fait qui m'est reproché est d'appartenir à un groupe de terroristes internationaux. Les séances de torture ont duré une vingtaine de jours sans relâche et sans interruption, du matin jusqu'à midi, le temps qu'ils déjeunent, puis jusqu'au dîner, parfois jusqu'à des heures tardives de la nuit.
    Tous les aveux du procès-verbal de la DST m'ont été extorqués sous la torture et sous la menace de mort. Après ma condamnation, j'ai pu m'enfuir et regagner l'Europe où je réside en Suisse, sous protection de la Convention de Genève de 1951.
    J'invite tous mes compatriotes, en Tunisie et à l'étranger, victimes de sévices, tortures, viols ou autres traitements inhumains et dégradants, à porter plainte contre les responsables officiels, les complices, les donneurs d'ordres et les exécutants de tels crimes, conformément à la Convention internationale contre la torture, à la tête desquels se trouve Abdallah Kallel, commanditaire des tortures pratiquées dans les bâtiments du ministère de l'Intérieur où il exerçait ses fonctions de 1991 à 1995, ainsi qu'à travers l'ensemble du territoire tunisien.
    J'en appelle surtout aux femmes tunisiennes, victimes de torture et de sévices sexuels perpétrés par les agents de Kallel, sous ses ordres et dans les locaux de son ministère, afin qu'elles osent dénoncer leurs tortionnaires et qu'elles contribuent ainsi à mettre fin à l'impunité. J'invite enfin les ONG tunisiennes et étrangères à s'associer à ces poursuites et à se constituer parties civiles.

    Genève,
    le 16 février 2001
    Abdennacer Naït-Liman





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    A LA UNE


    Leïla Trabelsi,
    "première Drame" de Tunisie

    Issue d'une famille de onze frères et soeurs, elle fit ses premiers pas dans la vie chez Wafa, une coiffeuse de la Place Barcelone à Tunis. Ses parents habitaient l'un des quartiers les plus pourris de la Médina, El Hafsia (Houmet ej-jrabba). C'est là qu'elle connut un certain Maaouia avec lequel elle se maria avant de divorcer dans les années 80. Grâce à son boulot chez Wafa, elle fit la connaissance d'une hotesse de l'air, Leïla Ben Amara, qui possédait entre autre une usine de cuir (Farah leather) sur la route de Bizerte. Elle introduisit Leïla Trabelsi auprès de Habib Ammar, ami de Ben Ali et véritable exécutant du coup d'Etat du 7 novembre 1987. C'est donc grâce à lui que Leïla fit la connaissance de Ben Ali dont elle devint vite la maitresse privilégiée, d'autant plus que le Général l'aida à divorcer et lui facilita l'achat pour elle et sa nombreuse famille, d'un appartement à Khaznadar, 1 rue Jerbi-Denden
    Elle s'introduisit alors auprès des Libyens et constitua une source d'informations utiles au futur Président. Elle connut aussi, entre temps, un certain Kaddour, tenancier de plusieurs boutiques de fleurs à Paris, d'où son surnom Kaddour Nouaouri (le fleuriste), qui la chargea de vendre les bouquets de jasmin à Paris, et précisemment à la sortie de la gare St Lazare. Ce dernier dut désenchanter à la fin des années 80 lorsque Leïla le quitta, qu'il fut ruiné dans son commerce à Paris et impliqué dans des affaires de drogue. Il se retrouva expulsable de France et de surcroît sans passeport renouvelable. Pourtant, Kaddour le fleuriste n'est pas un opposant... Par contre, un certain Zine El Abidine Ben Ali était devenu Président... Plus tard, coincé par les Renseignements généraux, ruiné financièrement, et "rassuré" par Leïla, il rentra en Tunisie les poches vides et le coeur chancelant, appréhendant des lendemains incertains. Convoqué par Ben Ali en personne, Kaddour dut se résoudre à "oublier" Leïla en contrepartie d'un commerce de Peugeot bâchées dans le quartier populaire de Mellassine.

    Le rôle de Larbi Aïssa :

    Ben Ali, encore marié à Naïma Kéfi, la mère de ses trois filles, convainquit son secrétaire particulier Larbi Aïssa d'assurer la protection de la future première dame de Tunisie. En contre partie, il lui fit céder la STIL (Société tunisienne d'industrie laitière) ainsi qu'INES Café (en Suisse, un procès est toujours ouvert contre la dite société dans la mesure où "Inescafé" a usurpé le nom commercial de "Nescafé").
    Kaddour Nouaouri, casé, Leïla fut déménagée à Mutuelleville, dans la villa même d'où le Général Ben Ali avait été chassé, suite à l'avération de son incompétence lors du complot libyen de Gafsa en janvier 80. A cette époque, rappelons-le, c'est Wassila Bourguiba elle-même qui soutenait que "cet homme était incompétent". Plus tard, lorsque le gouvernement lui dénicha un poste d'ambassadeur à Varsovie en Pologne, la même Wassila dit à son sujet : "Le mettre auprès de Jaruzelski, c'est la meilleure manière de lui apprendre à fomenter des coups d'Etat". Aujourd'hui Wassila est morte et l'histoire lui donne peut-être raison...

    Affaires macabres et sorcellerie :

    Il ne faut jamais le perdre de vue: Leïla est une fille du peuple, intellectuellement limitée et supersticieusement éduquée. Ainsi, elle fit croire à Ben Ali qu'il était voué à un grand avenir. Un homme comme lui ne pouvait qu'acquiescer et croire à cette imposture.
    Il fallait, pour elle, faire évacuer l'honnête Naïma Kéfi. Ce qu'elle réussit en 1992, mettant en péril l'équilibre même de l'Etat puisque Ben Ali chassa dès le mois de février de cette année-là, tous ceux qui avaient des réserves au sujet de la concrétisation de son alliance avec Leila Trabelsi. Il chassa son directeur de la Sûreté et homme de confiance Mohamed Ali Ganzoui, qui ne dut son retour en faveur qu'après s'être rallié au frère de Madame, Moncef Trabelsi. A ce sujet, la propre femme de Ganzoui raconte : "Je sais que mon mari est occupé, qu'il a en main la sécurité de tout l'Etat, mais je ne comprends pas pourquoi il peut trouver le temps de dîner tous les jours de Ramadan chez la Hajja (mère de Leïla) et pas chez lui, dans sa propre maison".
    Ben Ali chassa aussi l'un de ses plus grands amis et cousin, Kamel Eltaief, que l'on nommait le Président bis et qui était plus puissant qu'un Premier ministre. C'était en effet dans ses bureaux d'entrepreneur de l'Avenue d'Autriche, dans le quartier du Belvédère, que défilaient tous les ministres et hommes influents pour recevoir leurs ordres et effectuer leurs rapports quotidiens sur leur gestion des affaires du gouvernement . Quelques années plus tard, les bureaux du Pdg, successeur de son père Youssef Eltaïef, aux entreprises EYE, ont été investis de nuit, brûlés et le coffre-fort éventré. Que cherchait-on? Cette incursion policière nocturne cherchait, à la mussolinienne, des documents que le cousin chéri d'hier aurait soigneusement gardés en vue de "négocier" d'hypothétiques réprésailles. Kamel Eltaïef, connaissant parfaitement la nature du régime ne devait pas être idiot au point de laisser dans ses coffres d'éventuels documents compromettants. La rumeur publique, et peut-être lui-même, ont fait circuler le bruit que ces documents seraient à l'abri à Washington... ou à Paris, ce qui est sans doute vrai.
    Ben Ali limogea aussi le ministre de la Recherche scientifique, Dali Jazy, qu'il plaça à la Cour des comptes. Ben Ali limogea... limogea... limogea pour les beaux yeux de "Chimeïla". Il se trouve aujourd'hui que tous ces hommes-là sont de retour et occupent des postes aussi sensibles que ceux qu'ils avaient quittés pour elle et à cause d'elle. S'ils y sont, c'est sûrement parce qu'ils ont eu le temps, au cours de leur traversée du désert, de réfléchir et de penser que rien ne se faisait sans elle...

    1994-2000 :
    Leïla Ben Ali,
    reine de Tunisie

    En 1994, lorsque Ben Ali est entré dans la dernière phase d'éradication de la société civile, après avoir annihilé les islamistes, Leïla Ben Ali est déjà mère d'une enfant, Halima (prénom d'une parente du Général qui venait de décéder), et qui bloque jusqu'à ce jour, dit-on, la circulation entre Carthage et le lycée français de l'avenue Mohamed V : en effet, son exemplaire maman qui tient à l'accompagner à l'école, en Mercédes ou en Suzuki selon la météo, est précédée d'une escorte présidentielle. Des pères de familles ont rapporté que "il est impératif de quitter la maison à 6h30 ou à 7h pour être à l'heure à l'école ou au collège, et éviter les bouchons occasionés par Leïla et Halima". D'autres témoins occulaires nous ont rapporté qu'à la sortie de l'école vers 16h30, et dès que la gamine demande son goûter, la reine de Tunisie la fait rentrer à la pâtisserie avenue Alain Savary pour y "piquer" son mille-feuilles, tout en bloquant une fois de plus la circulation, y compris pour les bourgeois de Tunis qui vont à cette heure-ci s'entraîner au tennis Club.
    Ben Ali, en effet, voulait toujours un garçon, ce qu'il n'a jamais obtenu de sa première épouse. C'est en 1992 qu'il semblait certain que Leïla allait enfanter un mâle. Comme lui. Tout était prêt au printemps pour que madame Trabelsi accouche à la clinique privée St Augustin. Dernière minute, coup de théâtre : c'est Ben Ali lui-même qui intima l'ordre que son épouse accouche au CHU de la Marsa. Deuxième coup de théâtre : Ben Ali prend une voiture banalisée à verres fumés, va la voir au CHU et s'entretint violemment avec elle : c'était une fille qu'elle venait de mettre au monde, la fameuse Halima. En colère, (personne n'assista à leur violente querelle) il prit la voiture et roula très vite. A la Marsa, le bus 20C revenant de Gammarth freina subitement. Ben Ali qui n'eut pas le réflexe de freiner à son tour à temps, fonça dans le bus. La BMW se retrouva dans un fossé. Une Renault 12, juste derrière lui, ne put elle non plus freiner à temps et fonça sur l'aile gauche de la voiture d'un Président dans un fossé. Au chauffeur descendu de la R12 pour s'enquérir de celui qui le précédait qui le précédait, il trouva désabusé un Ben Ali lui braquant un révolver en pleine face qui lui demanda de déguerpir en lui laissant sa voiture, avant de prendre la poudre d'escampette : un président au milieu de la foule, appelé Ben Ali, ne peut par définition qu'avoir peur... Trois jours plus tard, il convoqua le propriétaire de ladite voiture, le récompensant d'un chèque, dit-on, et lui rétrocédant sa voiture...
    Mais Leïla et Halima sont désormais indécollables de Carthage. C'est alors que la première dame de Tunisie commença à organiser des cercles à l'intérieur même du palais. C'était à cette époque que l'on vit notamment le journaliste Nejib Khattab fréquenter le palais dès 9h00 pour des petits déjeuners en compagnie de la crème de la pourriture: Moncef, Belhassen Trabelsi et Cie. En 98, le journaliste est mort, et jusqu'aujourd'hui nul ne sait pourquoi ce quadragénaire a été volé à la vie et à la fleur de l'âge...
    Les mauvaises langues racontent qu'il avait refusé d'animer une télévision privée que comptaient lancer les Trabelsi, tout en acceptant l'offre d'une chaîne italienne qu'il a été liquidé, d'autant plus qu'il en savait trop. C'est à cette époque aussi que sur ordre de l'apprentie sorcière Leïla Trabelsi, des biens immobiliers français ont été arbitrairement confisqués. Les cas le plus célèbres sont ceux de la villa de madame Leman, attribuée par Leïla, à la mère-grand du clan, Hajja Nana, et celle du directeur du Musée océanographique de Carthage, offerte à l'une des soeurs : c'est Samira Trabelsi, épouse Maherzi qui gagna jusqu'à nos jours le plus beau lot. Comme ses autres soeurs et cousines, elle vola grâce à Leïla son homme (dont nous avons publié la photo dans notre édition de décembre 1999, p11). Ce Montacer, homme sans envergure, professeur stagiaire de sports, originaire de Béjà, avait été envoyé en coopération à Masquat, capitale d'Oman grâce à l'intervention d'une certaine Samira Trabelsi qui n'était alors qu'une simple vendeuse au freeshop Hamila de la Soukra. Montacer avait alors un ami très introduit : Mohamed Ali Klibi, lui-même fiancé à une autre vendeuse du même établissement. Ben Ali au pouvoir, Montacer a su trouver les arguments nécessaires pour obtenir les faveurs de Samira en lui offrant déjà... sa première Austin rouge. Plus tard, et ce que beaucoup ignorent, c'est qu'en utilisant tous les freeshops entre Masquat et Tunis, Montacer a été au centre de toutes sortes de trafic de marchandises non taxées et de passeports. Aujourd'hui ce fils de résistant (son père Kebaïer Maherzi s'opposa toute sa vie à Bourguiba) est mis à l'index par tous ceux qui l'ont connu à La Marsa.
    Il ne s'agit là que d'un aperçu sur 'un système corrompu et verrouillé dontl Leïla Ben Ali Trabelsi a largement participé à sa mise en place dès le début des années 90 et qu'elle a institué dès 1994.

    Habib Mokaddem





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    A LA UNE


    Nouvelles attaques du régime tunisien contre la France :
    Ben Ali mène une enième guerre contre la France
    et les ON internationales de défense des droits de l'homme

    Des témoins et des observateurs politiques français et tunisiens racontent qu'en mai 1989, à l'occasion du voyage de François Mitterrand en Tunisie, accompagné de Pierre Bérégovoy, alors ministre des Finances, celui-ci dit en sortant : "Je m'attendais, à défaut de rencontrer un véritable chef d'Etat, à rencontrer au moins un Général militaire. Il n'en fut rien. J'eus affaire à un commissaire de police".
    De qui s'agissait-il? De Ben Ali qui avait négocié le contrat, le prêt et une équipe efficace de Thomson pour faire du Palais de Carthage l'actuel bunker qu'il est. En fait, "le commissaire Ben Ali négociait lui-même l'installation informatique et électronique" pour contrôler le pays à partir de Carthage.
    Quelques années plus tard, son frère Moncef, impliqué dans le trafic de deux kilos de "fanta" (voir "L'Audace" n¡42-43, juillet-août 98) était déjà mis à l'index par le juge Ricard qui aurait envoyé un dossier étayé à un ancien directeur de la Sûreté tunisienne. Tout le monde sait ce qu'il advint à ce dernier.
    Aussi, selon certaines sources, il suffisait à Ben Ali de téléphoner à l'ancien Président français pour que les choses se soient peut-être passées différemment. Mais selon ces mêmes sources, Ben Ali était convaincu que dans un Etat où la justice est souveraine, c'était à Mitterrand d'intervenir en personne pour sauver son frère (droguiste, drogueur et drogueux) sans avoir même à lui passer un coup de fil pour le solliciter son intervention.
    Mitterrand ne l'a pas fait. C'est dire la diplomatie et l'envergure de Ben Ali...
    Aujourd'hui, nous en sommes certes loin, et le gouvernement Jospin a différé à plusieurs reprises des voyages en Tunisie : celui de Jospin lui-même, celui de Védrine mais aussi celui de Josselin, le ministre de la Coopération.
    D'une part on demande à la France des millions de francs, on demande à l'Union européenne des millions d'euros et et d'autre part, on insulte ses premiers partenaires au nom du refus d'ingérence et de la souveraineté.
    Sait-on pourtant que cent millions de francs français permettent à Leila Ben Ali de voyager aussi librement que possible à bord d'un Falcon, et que dix millions d'euros permettent à un régime dictatorial de se maintenir en arguant de l'illusion de l'islamisme rampant ?
    Les défenseurs des droits de l'homme qui condamnent avec véhémence ce qui vient d'être publier sur ordre de Carthage dans la presse gouvernementale tunisienne, ne lâcheront pas prise et appellent à nouveau les démocrates français et européens de tous bords, à les soutenir dans leur combat contre ces pratiques mensongères et de basse politique exercées par Ben Ali et son gouvernement.
    (Voir ci-après les attaques contre la France publiées par la presse gouvernementale tunisienne)

    Le combat pour la liberté

    Les campagnes sporadiques et épisodiques que lancent certaines parties étrangères à l'encontre de la Tunisie ne trompent plus aucun homme averti quant à leur tenants et aboutissants.
    A l'examen, leurs arguties ne résistent pas à l'analyse froide, impartiale et objective: d'abord, les instigateurs, plutôt que de cultiver leur réalité environnante et immédiate, préfèrent cultiver le goût du sensationnel, de l'exportation de clichés surannés, en transférant leurs lobbies et lubies sur des mirages, faisant feu de tout bois.
    Et comme par hasard, la Tunisie a constitué une fixation pour certains qui, revêtant des oeillères pour la circonstance et trouvant bien des alibis, ont écarté des deux mains tout le reste.
    Car ce qu'ont occulté ces Don Quichotte de la liberté et ces faux chantres des droits de l'homme constitue en fait tout ce qui fait la fierté, le consensus de tous les Tunisiens, toutes composantes confondues, de la société civile, des Organisations et des partenaires sociaux.
    Ce sont autant d'acquis sur les plans économique, politique, social, culturel qui inscrivent aujourd'hui la Tunisie au coeur du troisième millénaire.
    La Tunisie de l'ère nouvelle, c'est en même temps celle de l'éclosion et du printemps du tissu associatif dont le développement n'a jamais été aussi important. Ce tissu qui, d'une même voix, a dénoncé hier les campagnes tendancieuses et non dénuées d'arrière pensées et exprimé son rejet de tout diktat étranger.
    Ces campagnes calomnieuses ont escamoté à dessein les grandes réformes engagées, dont les performances sont saluées et reconnues par toutes les instances internationales, en particulier pour leurs dimensions humaniste et sociale.
    En effet, si l'Assemblée générale de l'ONU a adopté l'initiative du Président Ben Ali relative au Fonds mondial de solidarité, c'est parce que l'expérience avant-gardiste a fait ses preuves en Tunisie, intégrant ceux qui étaient jadis marginalisés, voire exclus. Ces sans-voix dont Ben Ali s'est fait le premier défenseur, parce que incluant le concept des droits de l'homme dans son acceptation globale, celle qui lui confère tous les attributs de la dignité, à savoir l'emploi, l'éducation, la santé et le cadre de vie décent.
    Au delà des indicateurs économique -cités par des documents internationaux de référence- c'est l'essence même du Changement qui fait aujourd'hui l'unanimité de tous les Tunisiens.
    Le labeur, la solidarité, les droits de l'homme constituent autant de repères à l'oeuvre du Changement. La réaction de la société civile tunisienne illustre avec enthousiasme et spontanéité le vrai combat pour la liberté et les droits de l'homme.

    Editorial,
    La Presse de Tunisie,
    1/03/2001

    Face aux campagnes diffamatoires contre la Tunisie,
    la société civile fait bloc contre les ingérences étrangères


    Après l'Unft (Union nationale de la femme tunisienne) et l'Utica (Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat), c'était hier au tour de l'Ugtt (Union générale tunisienne du travail) de condamner les tentatives de nuire à la Tunisie et de mettre en doute les positions de la Centrale syndicale.
    Tenant un grand meeting à Tunis, des représentants de centaines d'Organisations et d'associations représentant la société civile, toutes générations, toutes catégories et toutes tendances confondues, ont pour leur part exprimé leur rejet de toute forme de tutelle sur la Tunisie, ainsi que leur indignation et colère devant les agissemenst des nostalgiques de l'ère coloniale.
    Un imposant meeting a réuni à Tunis, plusieurs centaines de représentants des Organisations et associations, dans le cadre d'une initiative de la société civile tunisienne qui traduit la conscience du tissu associatif tunisien quant à la nécessité de faire face aux tentatives de suspicion et de dénigrement et de combattre les campagnes diffamatoires contre la Tunisie et ses acquis, menées par certains médias étrangers, campagnes que démentent les acquis et réalisations accomplis par le peuple tunisien depuis le Changement sur la voie de la démocratie, du développement et des droits de l'homme, ainsi que le climat de stabilité, de quiétude et de solidarité qui règne en Tunisie.
    Le meeting auquel ont participé un grand nombre de cadres opérant dans le secteur associatif, toutes spécialités et domaines confondus, a été marqué par un climat enthousiaste qui reflète le refus de la société civile de toute forme de tutelle sur la Tunisie et son engagement à s'opposer à tout diktat, ainsi que son attachement au dialogue et au droit à la différence.
    Le meeitng a été ouvert par une allocution de M. Midani Ben Salah, président de l'Union des écrivains tunisiens, dans laquelle il a indiqué que l'initiative de la société civile tunisienne est fondée sur la liberté des choix, la liberté d'expression et le droit à la différence, soulignant que ce qui rassemble les Organisations et associations tunisiennes ayant adhéré à cette initiative, ce sont la fidélité à la Tunisie, l'amour de la patrie et le refus de toute ingérence dans les affaires intérieures du pays, quelle qu'en soit l'origine.
    Il a indiqué que l'esprit patriotique commande à tous de chercher à résoudre les problèmes qui se posent dans un climat de liberté qui existe en Tunisie, un pays qui demeurera libre à jamais dans ses choix et immunisé contre ses détracteurs et ceux qui ont trahi la patrie, fort de l'adhésion de ses enfants autour des choix nationaux authentiques.
    M. Midani Ben Salah a affirmé que la Tunisie, qui a conquis son indépendance grâce aux sacrifices de ses enfants, reste imperméable aux tentatives vaines de ceux qui ont trahi la patrie et cherchent à lui nuire en déformant les faits et en se jetant dans les bras des nostalgiques du colonialisme.
    Les Tunisiens tournent le dos aux modèles de démocratie exogènes et aux stéréotypes et s'emploient, avec constance et détermination, à bâtir une société authentiquement démocratique fondée sur les droits de l'homme dans leur acception globale.
    Plusieurs représentants de la société civile sont intervenus pour stigmatiser la conduite de ceux que dérange le succès du modèle tunisien et qui tentent de porter préjudice à leur pays.
    Ils ont souligné que toutes les forces vives de la société tunisienne ont le souci de préserver jalousement l'indépendance du pays et son autonomie de décision et se dressent, avec force et vigilance, face à toutes les tentatives visant à brider sa liberté de décision, à porter atteinte à sa souveraineté ou encore à faire douter de ses choix fondamentaux en matière de justice sociale, de défense des droits de l'homme et de pluralisme.
    Les représentants de la société civile ont aussi souligné haut et fort que la Tunisie est un Etat de droit et un pays où prévaut la loi qui reste au-dessus de tous, affirmant leur adhésion totale et délibérée au programme d'avenir initié par le Président Zine El Abidine Ben Ali qui incarne la volonté du peuple et son aspiration à une société moderne, solidaire, unie et résolument attachée à l'indépendance et l'invulnérabilité de la Tunisie.

    La Presse de Tunisie, 01/03/2001,

    Le Bureau politique du RCD
    et les ingérences de certaines parties étrangères :
    Inacceptables


    Le Bureau politique du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) a publié la déclaration suivante :
    "Les membres du Bureau politique du Rassemblement constitutionnel démocratique réunis à la Maison du Rassemblement à la Kasbah (...)
    - expriment leur condamnation vigoureuse des prises de position de certaines parties et de quelques médias, notamment en France, qui se font l'écho des mensonges colportés par des détracteurs dans le but de ternir la réputation de la Tunisie et porter atteinte à ses choix.
    - affirment que l'ingérence dans les affaires nationales de la part de ces milieux, qui procède d'une mentalité colonialiste caractérisée, est inacceptable. Elle est contraire à toutes les chartes et valeurs sur lesquelles se fondent les rapports entre les pays et les peuples.
    - tout en stigmatisant les agissements de ces éléments hostiles à la solde de ces milieux étrangers, les membres du Bureau politique proclament que la Tunisie indépendante de l'ère nouvelle est un Etat de droit où la loi prévaut et demeure au-dessus de tous.
    Les membres du Bureau politique dénoncent la conduite immorale de ces nouveaux zélateurs parmi les faux défenseurs de la démocratie et des droits de l'homme qui se plaisent dans cette hypocrisie et restent sans réaction devant le meurtre d'enfants et d'innocents en Palestine, en Irak et dans d'autres régions du monde.
    Les membres du Bureau politique affirment l'attachement de la Tunisie à l'amitié étroite entre les peuples tunisien et français, estimant que les liens solides qui caractérisent cette amitié sont au-dessus de tous ces mensonges et plus forts que ces pratiques....

    La Presse de Tunisie,
    02/03/2001





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    ANNIVERSAIRE


    "L'Audace" An VIII
    28 février 1994 - 28 février 2001

    Voilà aujourd'hui sept années révolues depuis que "L'Audace" a entamé cette suicidaire mais indispensable aventure.
    Le devoir d'informer les Tunisiens qui vivent une chape de plomb depuis 1990, et un régime de diète culturelle, intellectuelle et informationnelle depuis l'avènement de l'ère meurtrière du 7 novembre, avait alors pris le pas sur le silence complice du grand nombre qui se plaisait à ronronner dans certains milieux qu'il fallait du temps à la jeune démocratie de Ben Ali pour s'instaurer, d'autant que notre petit pays était en proie à des velléités hégémoniques de ses voisins, comme la Libye de l'instable Gueddafi ou l'Algérie en guerre contre l'islamisme rampant.
    Nous avions dès le départ vu juste puisqu'à l'origine même, l'on avait oublié que Ben Ali ne fut, n'a été, n'est ni sera jamais un démocrate. Aujourd'hui, à "L'Audace", on se permet de tirer un grand ouf : puisque tout le monde s'accorde enfin à penser que Ben Ali est un dictateur corrompu, qu'il a gouverné treize ans durant en menteur et que toute sa théorie du péril vert ne fut pendant tout ce temps qu'un leurre pour tromper l'opinion internationale et les crédules, et gagner la sympathie des "mauvaises foi" ainsi que ceux qui ont la foi mauvaise.
    Bref, ce n'est point d'un retour en arrière dont il s'agit aujourd'hui en fêtant par la mémoire et la plume le 7e anniversaire de "L'Audace". Mais c'est surtout pour répéter ce que nous n'avions eu de cesse de revendiquer : la poursuite du combat pour la liberté et la dignité du peuple tunisien dans sa totalité. Ce combat long et douloureux qui délivrera 10 millions d'âmes du joug de la dictature et d'une oligarchie militaro-policière avide de pouvoir et d'argent , est près d'atteindre son but pour peu que toutes les parties concernées laissent dans les vestiaires leurs querelles personnelles.
    Sur un autre chapitre, "L'Audace" qui a suivi quotidiennement au cours de cette année passée les événements déroulés en Tunisie, l'arbitraire dont ont été victimes tous les démocrates (hommes et femmes) ainsi que les centaines de familles islamistes dont un frère, un père, un oncle croupissent toujours en prison, a parfois été acculée à sélectionner et à se coller aux faits les plus marquants. Certains y ont vu des cas plus défendables ou "médiatisables" que d'autres. Or, dans notre esprit, il n'a jamais été question de cela. "L'Audace" défend tous les Tunisiens opprimés, appartient à tous les Tunisiens où qu'ils soient. Des problèmes techniques, de circulation de l'information, des moyens humains et financiers constituent encore, au bout de 7 ans d'efforts, de sérieux handicaps à relever. Le problème de la diffusion est aussi, à son tour, l'une de nos préoccupations majeures. Dans quelques jours, "L'Audace" est consultable en ligne dans tous les pays du monde avec 48 heures d'avance sur sa diffusion, sinon en même temps, pour seulement 13 francs ou 2 euros.
    Enfin, nous ne pouvons évoquer cette année passée sans nous rappeler le procès que nous avait intenté Serge Adda et qui fut sensationnel pour l'image du régime actuel. Ce procès et son issue démontrent que lorsqu' une justice est libre, la dictature ne triomphe pas.
    Avis donc à ceux qui seraient en quête d'avocat pour intenter un nouveau procès à "L'Audace" à cause de ce qui a paru concernant leurs vérités dans notre dernière édition. Nous doutons d'ailleurs fort que Ben Ali permette à ses nouveaux fers de lance (en plastique) de prendre une telle initiative...
    Pour sa huitième année d'aventure passionnante, "L'Audace" réitère son engagement, en appelle à ses lecteurs sans lesquels nous aurions jeté l'ancre depuis longtemps déjà et leur donne rendez-vous l'an prochain.
    Avec l'espoir de parler d'autre chose que du morose Ben Ali.

    "L'Audace"





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    CARTE BLANCHE


    Vive l'autocensure!


    La nouvelle livraison de Kalima (www.kalimatunisie.com) vient d'être mise en ligne.
    Une occasion de déguster ce superbe article de S.K. qui est déjà dans les archives.
    Voici pour ceux qui l'ont raté, l'article en question

    Les récentes mesures destinées à développer la censure dans les Publinet m'ont remis en mémoire un article du journal La Presse (gouvernemental), publié l'été dernier, et qui indiquait de manière très précise la procédure à suivre pour bloquer son propre accès à certains sites : une sorte de guide de l'autocensure à l'usage des internautes pudibonds ou inquiets de leurs pulsions libertines.
    Le principe en est simple. Ouvrez le "tableau de bord" de votre ordinateur et cliquez, pour commencer, sur l'icone "Panneau de configuration". Une fenêtre s'ouvre; vous choisissez "Option Internet" qui vous permet d'accéder à un menu "Propriété de l'Internet". Vous cliquez alors sur "Contenu" et un autre menu apparaît sur l'écran; c'est le "Gestionnaire d'accès". Vous "activez" et là, vous découvrez vos clés d'autocensure. Quatre clés, plus précisément, correspondant à quatre registres : Langue, Nudité, Sexe et Violence. Vous sélectionnez la rubrique qui vous effraye (ou qui vous tente...) le plus et, enfin, vous déterminez le degré d'autocensure désiré à l'aide d'un petit curseur qui se déplace le long d'une barre de défilement prévue à cet effet. Il ne reste plus qu'à cliquer sur "Appliquez", puis sur "OK" et le tour est joué. Désormais, vous ne pourrez plus voir, lire ou entendre ce que vous ne voulez plus ni voir ni lire ni entendre!
    Le principe de l'autocensure électronique étant admis, je voudrais faire une petite suggestion. Pourquoi ne pas élargir la gamme des rubriques que l'on pourrait s'interdire à soi-même? Sélectionnez "Droits de l'homme" ou "Torture", cliquez sur "OK" et tous les sites qui diffusent des "fausses nouvelles" sur l'usage systématique de la torture en Tunisie n'ont qu'à aller voir ailleurs! Sélectionnez "corruption", cliquez sur "OK" et la corruption disparaît des écrans ! Le jour où nous (je parle de "nous" les Tunisiens) serons en mesure, tous seuls , de distinguer les vraies nouvelles (celles que donne la TAP) des fausses nouvelles (celles que diffuse le CNLT par exemple), eh bien, ce jour-là, nous pourrons aussi faire usage du curseur qui ajuste l'autocensure au degré voulu.
    Il suffit, là encore, de s'inspirer du mécanisme déjà existant. Celui-ci prévoit 5 niveaux d'autocensure par catégorie : en ce qui concerne la "langue", il est possible -je n'invente rien !- de proscrire les "jurons très modérés" (niveau 2), les "gestes obscènes" (niveau 4), ou uniquement le "langage grossier ou explicite" (niveau 5) ! Toutes ces femmes en tenue légère, qui envahissent Internet, vous choquent ? Rien de plus facile que d'y remédier : amener le curseur magique au niveau 5, correspondant à la "nudité de face provocatrice", et vous serez tranquilles. En revenant au niveau 4, vous pouvez même vous interdire une innocente "nudité de face", dénuée de toute intention "provocatrice". Auquel cas, cependant, vous n'éviterez pas la nudité de dos. Dans la rubrique "sexe", le niveau 2 vous donne la possibilité de prohiber les simples "baisers passionnés" ou 'hésiter entre les "attouchements sexuels non explicites" (niveau 4) et les "activités sexuelles explicites" (niveau 5). Enfin, vous pouvez autocensurer les sites proposant des scènes de violence en interdisant les images de "tueries" (niveau 4) ou encore les "violences gratuites et cruelles" (niveau 5). Notons au passage qu'implicitement la "violence gratuite", c'est à dire sans mobile, est considérée comme plus grave que les "tueries sanglantes" qui auraient un mobile...
    Sur le même modèle, on peut imaginer un système progressif d'autocensure des informations concernant la situation des droits humains. Comme précédemment, il s'agit tout simplement de faire glisser le curseur d'un niveau à un autre, pour choisir le degré d'autocensure souhaité.
    Premier exemple : la torture.
    Niveau 1 /aucune torture (version officielle)
    Niveau 2 / Gestes obscènes, langage grossier ou explicite
    Niveau 3/ Brutalités non explicites
    Niveau 4/ Violences explicites et sanglantes, et détails choquants
    Niveau 5/ Violences gratuites et cruelles.
    Je ne veux rien savoir, je choisis le niveau 1 : je préfère éviter d'être trop au courant mais je ne veux pas passer pour un khobziste (celui qui ne s'occupe que de son pain), je bloque mon curseur aux niveaux 2 ou 3. La même méthode peut être appliquée au problème de la corruption :
    Niveau 1/ Pas de corruption (version officielle)
    Niveau 2/ Corruption du petit fonctionnaire pour boucler ses fins de mois
    Niveau 3/ "Fiscalité privée" (tombola de la police, divers fonds de solidarité, souscription pour la campagne électorale officielle...
    Niveau 4/ Délit d'initié, créances douteuses, concessions d'autoroutes très douteuses, privatisations très, très douteuses.
    Niveau 5/ Trafics divers, contrebande, blanchiment, etc.
    Mais on peut encore améliorer le procédé et prévoir une installation supplémentaire : tout internaute qui se risquerait au delà du niveau 1 d'autocensure recevrait automatiquement un gros coup de matraque sur le crâne ! Une autre manière d'allier tradition et modernité.

    Sadri Khiari





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    RIPOSTE


    Le cri de Taoufik Ben Brik

    Le 3 avril 2001, soit aujourd'hui une année, j'ai entamé une grève de la faim pour qu'on cesse de prendre en otages ma famille et mes amis, qu'on me permette de circuler librement en dehors et dans le pays, qu'on lève l'interdiction d'écrire qui me frappe depuis 1990, qu'on rétablisse ma ligne téléphonique et que je recouvre mon courrier.
    Aujourd'hui, je l'avoue cette grève n'a servi à rien : ma ligne de téléphone est coupée, je suis encore interdit d'écriture dans mon pays, ma femme, mes soeurs et mes amis continuent à être tabassés et chaque fois que je débarque à l'aéroport de Carthage, je sens comme si je me livrais. On m'enlève mes lectures, mes carnets d'adresse et mes manuscrits. Devant chez moi, un commissariat ambulant veille; ils me suivent partout, au marché, au café et LE CRI DE TAWFIK BEN BRIK dans la rue. Je sens en permanence une menace qui plane sur moi. Je crois qils veulent me faire payer l'offensive médiatique des deux dernières années qui a fracassé la propagande benaliste et l'a définitivement classée parmi les dictatures les plus hideuses. Je n'ai jamais pensé m'exiler. Mais dans cette atmosphere de Kommandatur, les insoumis sont taxes de traîtres. Ai-je le choix ?

    Tunis,
    le 13 mars 2001






    Les exactions et les actes de harcélement
    se multiplient ... en toute impunité

    Khedija Cherif, agressée le samedi 10 mars 2001 pour la deuxième fois en l'espace de quelques jours, a été entendue le lundi 12 mars par le procureur de la République à la suite de la plainte qu'elle a déposée le 2 mars. Cette plainte courageuse sera sans doute classée sans suites. Elle intervient, en effet, dans un contexte caractérisé, en particulier au cours des quatre derniers mois, par une insupportable recrudescence des actes de harcèlement commis quotidiennement, et en toute impunité, par les agents de la police politique à l'égard de toutes celles et de tous ceux qui n'acceptent pas de se taire face à la dérive despotique et totalitaire de l'Etat-RCD.
    De "la filature collante", à l'agression physique en passant par les provocations humiliantes, les injures, les interdits arbitraires, la coupure des lignes téléphoniques, les actes de vandalisme contre les voitures, ces exactions constituent le lot quotidien des militantes et militants défenseurs des droits de l'homme ou opposants politiques.
    L'objectif est tout à la fois d'intimider les victimes de ce harcèlement quotidien et leurs proches et de banaliser ces violations des droits les plus élémentaires. C'est justement cette banalisation de la pression policière et des agissements de petits malfrats auxquels la police a de plus en plus recours, qu'il est nécessaire de dénoncer systématiquement.
    La dénonciation de cet arbitraire de tous les instants est d'autant plus urgente que le climat créé par la campagne médiatique hystérique de calomnies et de diffamations orchestrée par le pouvoir contre "les traîtres à la nation" aggrave les risques de dérapage.
    C'est ainsi que se sont multipliés depuis quatre jours, de jour comme de nuit, les actes de vandalisme contre les voitures d'un certain nombre de personnes. Après Khedija Cherif et Souheyr Belhassen, Maître Radhia Nasraoui, Maître Alya Cherif Chammari et Fethi Ben Brik Zoghlami ont ainsi fait les frais depuis le samedi 10 mars 2001 de ces "casseurs à visages découverts" assurés de rester impunis. Au-delà des dégâts non négligeables occasionnés, ces actes de vandalisme visent à renforcer le climat d' insécurité et à intimider les personnes visées et leurs proches.
    L'appel ci-joint, de Taoufik Ben Brik, décrit l'amertume qui frappe une Tunisie agitée, voilà presque un an, par sa très médiatique grève de la faim, suscitant alors l'espoir de voir la chape de plomb se lever. La tentation de "l'exil" n'est certainement pas une alternative à l'enfermement intérieur auquel le régime policier de M. Ben Ali réduit les femmes et hommes libres de ce pays. C'est à cela que les prédateurs du régime veulent arriver : une sorte de purification politique qui leur laisse les mains libres à l'abri des regards et des curieux. La solidarité avec les insoumis, ceux-là mêmes qui représentent aujourd'hui l'honneur du pays et sa fierté, doit samplifier.
    L' acharnement policier et répressif qui les vise doit être décrié et dénoncé face à un régime qui a perdu tout simplement le sens des intérêts supérieurs du pays en asservissant l'Etat et les biens publics au profit d'un pouvoir personnel, autoritaire et clanique.

    RSF









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    INTERVIEW


    Tarek Maaroufi :
    "Je vais porter plainte contre Ben Ali "

    "Celà mettra le temps qu'il faudra , mais je suis déterminé à récolter autant de preuves susceptibles de démontrer que le Général Ben Ali a une fois de plus menti et trompé ceux à qui il veut faire croire qu'il les aide contre le terrorisme international ". C'est en ces termes que Tarek Maaroufi entame la discussion à bâtons rompus que nous venons d'engager avec lui à Bruxelles.
    Mais de quoi s'agit-il en fait ?
    L'affaire remonte à Janvier 2001 (voir "L'Audace" N¡71-Janvier 2001, p.34-35). C'est le sérieux quotidien italien "La Reppublica" qui révéla que l'Ambassade des Etats Unis à Rome avait été évacuée à la suite d'informations "de sources tunisiennes" qu'un attentat allait s'y produire , attentat dans lequel serait impliqué un réfugié politique islamiste tunisien : Tarek Maaroufi. L'écho a été repris par la chaîne RAI UNO, et cette affaire ne tarda pas à faire l'objet d'une vive polémique dans la presse italienne
    Au mois de février, "La Reppublica" prit contact avec Tarek Maaroufi et lui consacra le Jeudi 22 une page entière dans laquelle l'intéressé nia toute implication dans ce bombardement chimérique de l'Ambassade américaine à Rome. Quelques jours plus tard, la RAI UNO et la chaîne RTL9 s'emparèrent à leur tour de l'affaire et interviewèrent l'intéressé qui réfuta en bloc toute implication dans une affaire qui n'a jamais existé. A ce sujet, Tarek Maaroufi nous dit : "Je pense et je crois même que ce sont les Italiens qui ont été malmenés et humiliés dans cette affaire. Tout ce qui s'est passé , c'est que les lâches services tunisiens ont transmis aux Américains une information bidon selon laquelle je serais à l'origine d'un attentat imminent contre leur Ambassade à Rome . Ces derniers, peut-être par précaution, ont évacué durant trois journées successives (entre le 6 et le 8 Janvier), et le plus discrètement du monde leur personnel. Ils n'ont même pas pris la peine d'en informer les Italiens. C'est ce que je considère comme une humiliation pour ces derniers. Pour la vérité, j'en veux un peu aux Américains qui ont pu croire à des informations émanant d'un imposteur, mais je suis déterminé à porter plainte contre Ben Ali, non seulement en tant que Tunisien, mais aussi et surtout en tant que citoyen Belge ".
    Interrogé sur les raisons qui sont susceptibles d'amener le régime tunisien à lui en vouloir autant, Tarek Maaroufi répond sans ambages : "Ce n'est pas nouveau, Ben Ali combat tous ses opposants par la torture et l'emprisonnement; et quand ils lui échappent, par les coup bas et la désinformation auprès des pays d'accueil. Rappelez-vous en 96, puisqu'à "L'Audace" vous avez eu à traiter de l'affaire, Ben Ali et ses services m'avaient alors impliqués ainsi que Walid Bennani (dirigeant d'Ennahdha, exilé à Liège) dans l'assassinat du ministre socialiste belge André Cools.
    Un juge d'instruction tunisien a même établi une commission rogatoire et a débarqué à Bruxelles pour nous interroger. Nous avons l'un et l'autre refusé de le recevoir. Malheureusement pour le dictateur tunisien, la justice souveraine du Royaume de Belgique nous a lavé de tous soupçons et nous fûmes relaxés. Par conséquent, cette nouvelle machination policière ne tendait qu'à rendre plus difficile la vie des opposants tunisiens à l'étranger. Mais croyez-moi : je suis serein, je n'ai rien à me reprocher.
    Le régime de Ben Ali est en train de rendre l'âme, c'est pour cela qu'il invente autant de supercheries dans le but de faire diversion et de donner l'illusion qu'il est le seul rempart contre un prétendu terrorisme islamiste tunisien absolument inexistant . Mais nul n'est dupe, le plus grand nombre à appris à le connaître " .

    Slim Bagga





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    DROITS DE L'HOMME


    Passation officielle des responsabilités au sein du CNLT empêchée par la milice :
    Le Dr Marzouki agressé en plein Tunis

    Jeudi 1er mars à 17h, devait se tenir au siège du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) une cérémonie au cours de laquelle devait se rencontrer la direction sortante et la direction récemment élue du Conseil, en vue d'officialiser la passation des responsabilités. Contacté par nos soins, Moncef Marzouki nous précisa qu' "arrivés au niveau du siège de la maison d'édition Aloés, où devait se tenir la réunion, moi-même et Sihem Ben Sédrine nous nous sommes trouvés en face d'un grand nombre de voyous déguisés en policiers. Nous avons pu constater que la rue était barrée et que tous les militants qui arrivaient, notamment Ali Ben Salem, septuagénaire, subissaient le même sort que nous.
    Notre réunion pacifique n'a pu avoir lieu, alors même qu'une manifestation cinématographique à la Maison de la culture Ibn Rachik était interdite. J'élève une protestation énergique contre les agissements d'une police instrumentalisée pour s'attaquer à tout ce qui bouge dans la société civile.
    Je tiens le ministre de l'Intérieur pour responsable direct des agissements des voyous qu'il a lâchés contre moi-même et contre des militants pacifiques qui entendaient simplement exercer leur droit à se réunir pacifiquement.
    Je reste déterminé à poursuivre la lutte pour l'instauration en Tunisie d'un Etat de droit respectueux des valeurs démocratiques et de la dignité de ses citoyens".

    1er mars 2001,
    CIDT-Tunisie,
    Khaled Ben M'Bare






    Une lettre de protestation du Sénat de Belgique

    Sénat,
    Bruxelles , le 1er mars 2001

    Monsieur l'Ambassadeur de Tunisie
    Excellence,
    Nous apprenons que trois associations connues et respectées en matière de défense des droits de l'homme n'auraient pas, malgré leur demande, été reçues par vous-même ou par un autre membre de l'ambassade ce 20 février 2001.
    Ces trois associations, Amnesty international-Belgique, Avocats sans frontières-Belgique et la Ligue des droits de l'homme-Bruxelles, voulaient vous exprimer leurs craintes devant l'aggravation de la situation en matière des droits de l'homme en Tunisie, ce dont la presse internationale s'est faite régulièrement écho.
    Ces associations voulaient particulièrement évoquer le respect, la sécurité, la liberté d'expression pour les personnes membres des Organisations de défense des droits de l'Homme tunisiennes reconnues par leur fédérations internationales des droits de l'homme, ainsi que la sécurité et le respect de leurs familles.
    Ces préoccupations sont largement partagées au sein du Sénat belge comme au sein des instances parlementaires internationales comme cela ressort, par exemple, clairement de la Déclaration de Bamako, résultant du Symposium international (23/11/2000) sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone, organisé par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
    Nous nous permettons d'insister, Monsieur l'Ambassadeur, pour qu'une suite positive puisse être apportée à la requête de ces associations et à leurs préoccupations qui, à partir de Bruxelles, siège des instances de l'UE ont un rôle et une audience qui dépassent largement le territoire de la Belgique.
    Je vous prie d'agréer, Excellence, Monsieur l'Ambassadeur, les assurances de mes sentiments respectueux, de ma profonde considération pour les intérêts de la société tunisienne et pour le rôle essentiel que des institutions démocratiques tunisiennes peuvent assurer en vue du renforcement d'une coopération euro-méditerranéenne durable et équitable.

    Paul Galand,
    Sénateur,
    Marie Nagy,
    Sénatrice, Présidente de groupe


    Communiqué de la LTDH

    L'audition du président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme par le juge d'instruction le samedi 10 mars 2001 a donné lieu au communiqué suivant : " Le président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme Maître Mokhtar Trifi a comparu de nouveau aujourd'hui 10 mars 2001 devant la juge d'instruction au 4em cabinet près le tribunal de 1ere instance de Tunis pour être entendu concernant les chefs d'accusation de propagation faite de mauvaise foi de fausses nouvelles susceptibles de troubler l'ordre public et de refus de se confirmer à une décision de justice; chefs d'accusation qui lui avaient été notifiés le 03 mars 2001 et qui sont en rapport avec le communiqué du Comité directeur du 12 février 2001 relatif au jugement rendu le même jour dans le procès concernant la LTDH.
    Plusieurs dizaines d'avocats ont accompagné Maître Trifi au cabinet du juge d'instruction. Vu l'exiguïté du cabinet, plusieurs d'entre eux n'ont pu y accéder. Le président de la section des avocats de Tunis a demandé au juge que l'interrogatoire se fasse dans un cabinet plus spacieux pour permettre à tous les avocats présents de faire leur devoir convenablement.
    Cette requête n'ayant pu être retenue, les avocats ont décidé de se retirer. Me Trifi a demandé le report de l'interrogatoire pour permettre aux avocats d'être présents et de pouvoir l'assister dans de meilleures conditions. Etaient présents au tribunal en solidarité avec le président de la Ligue les membres du Comité directeur et des militants de la LTDH ainsi que des représentants d'ONG tunisiennes, de certains partis politiques et des représentants des corps diplomatiques. "

    Le Secrétaire Général ,
    Khemais Ksila,
    10 mars 2001


    Communiqué du CNLT

    Le Conseil national pour les libertés en Tunisie exprime sa plus vive inquiétude face à un certain nombre d'événements préoccupants, survenus récemment :
    - Agression contre Khadija Cherif aujourd'hui, samedi 10 mars, alors qu'elle sortait du Palais de justice où elle était venue exprimer sa solidarité avec Me Mokhtar Trifi, président de la LTDH qui passait devant le juge d'instruction. La sociologue Khadija Cherif a fait l'objet d'une agression de la part de la police. L'un d'entre eux s'est brutalement jeté sur elle, tentant de lui subtiliser un dossier qu'elle tenait à la main. Devant sa résistance, il la traîne à terre et la violente, finissant par lui arracher son dossier. C'est la deuxième fois en moins de dix jours que madame Khadija Cherif subit une agression physique de la part de la police politique qui la soumet depuis quelques jours à une surveillance collante. Accompagnée de Me Taoufiq Bouderbala, l'ancien président de la LTDH, elle se présente devant le procureur de la République pour déposer une plainte pour agression en flagrant délit, ce dernier refuse de recevoir la plainte telle que présentée.
    Ce n'est pas la première fois que de telles agressions sont perpétrées par la police à l'encontre de défenseurs de droits humains ou d'opposants : Le 28 février dernier, Me Naziha Boudhib, dans un scénario similaire, s'est vue délester d'un dossier en pleine rue, alors qu'elle sortait d'un colloque organisé par l'Association des jeunes avocats à l'occasion de son 30ème anniversaire. M.Lassad Jouhri, ancien prisonnier politique qui se déplace au moyen de béquilles, avait été violemment jeté à terre, frappé à plusieurs reprises et insulté au début du mois de février, alors qu'il se rendait au siège du CNLT.
    Face à cette escalade, le Conseil national pour les libertés en Tunisie:
    á S'élève avec la plus grande vigueur contre ces atteintes à l'intégrité physique et ces agressions qui sont devenues le recours systématique de la police politique contre les opposants et les militants des droits humains. Il alerte l'opinion publique sur la gravité de ces pratiques de délinquants, méthodiquement utilisées en vue de faire taire les voix qui s'élèvent pour dénoncer les abus commis en matière de libertés et de droits humains.
    á Il appelle la société civile à se mobiliser pour s'élever contre ces abus commis en public par la police afin de soumettre les dissidents.
    á Il rappelle aux Autorités publiques l'engagement de la Tunisie de protéger les défenseurs des droits humains conformément à la déclaration de New York des Nations Unis du 9 décembre 1998, ainsi que leur devoir de faire respecter les lois tunisiennes et de faire cesser ces pratiques illégales et indignes.
    - Le Dr Moncef Marzouki interdit de voyager : Le Dr Moncef Marzouki, ancien porte-parole du CNLT a été interdit de quitter le territoire tunisien par la police des frontières de Monastir, cet après-midi. Cette mesure vient s'ajouter à la longue série de persécutions que subit Moncef Marzouki depuis des années. Rappelons qu'il vient d'être condamné à 1 an de prison pour des délits d'opinion et que le parquet a fait appel du jugement. Le Dr Marzouki a été abusivement licencié de son poste de professeur à la Faculté de médecine de Sousse et privé de son service de médecine communautaire en représailles de son engagement pour la défense des libertés et des droits humains. Cette interdiction de voyager est une autre forme de sanction pour l'empêcher de rejoindre sa famille qui vit en France et de donner des cours dans une Université française qui vient de lui ouvrir un poste. Elle fait partie de la panoplie des mesures imaginées par le régime pour tarir les ressources des militants des droits humains et les affamer.
    Le CNLT proteste vigoureusement contre cette interdiction et exige le rétablissement du Dr Marzouki dans tous ses droits.
    - Haroun Mbarek condamné à 3 ans de prison ferme: Dans un procès inique marqué par de multiples atteintes aux droits de la défense et sur la base d'un dossier vide de tout élément de preuve, le tribunal de première instance de Tunis a rendu aujourd'hui son verdict dans l'affaire Haroun Mbarek, l'étudiant tunisien livré par le Canada à la police tunisienne pour être soumis à la torture. Il a été condamné à 3 ans de prison ferme et 5 ans de surveillance administrative pour "constitution d'association de malfaiteurs et participation à une action collective en vue d'atteindre aux biens et aux personnes par la terreur en vertu des articles 52 bis, 131 et 132 du Code pénal". Le juge Yafreni qui a déjà à son palmarès la condamnation des jeunes dans le procès dit des "agonisants", a refusé d'effectuer la confrontation avec la personne qui aurait impliqué Haroun M'Barek, et dont les déclarations sont le seul élément à charge dans le dossier, arguant du fait que le témoin est revenu sur ses déclarations.
    Plaidant au nom du CNLT et clôturant les plaidoiries des cinq avocats constitués dans cette affaire, Me Raouf Ayadi a relevé l'inconsistance des charges et leur illégalité, Haroun étant jugé en vertu de lois édictées en 1993 pour des faits remontant à 1991, en violation flagrante du principe de la non rétroactivité des lois, garanti par l'article 13 de la Constitution tunisienne.
    Le CNLT condamne cette parodie de justice et lance un appel aux juges pour agir en vue de ne plus permettre l'instrumentalisation de l'institution judiciaire dans le règlement des conflits politiques.

    Tunis le 10 mars 2001,
    Pour le Conseil, la Porte-parole
    Sihem Bensedrine


    Témoignage de Khedija Cherif

    "Le jeudi 1er mars, alors que je me rendais en compagnie de madame Héla Abdeljaoued à la réception organisée par le CNLT à l'occasion du renouvellement de son Comité de liaison, j'ai été agressée et humiliée par des agents de police. Nous nous dirigions vers le lieu de rencontre chez madame Sihem Bensedrine, porte-parole du CNLT. Alors que nous accédions à la rue, un groupe de policiers en civil nous intime l'ordre de rebrousser chemin. Nous protestons contre l'illégalité de cette interdiction et ils nous abreuvent d'insultes, nous traitant de "traîtres à la patrie etc."
    Nous remontons en voiture, dans la rue où se trouve le lieu de notre rencontre. J'engage une manoeuvre pour faire demi-tour. C'est alors qu'une dizaine de policiers se ruent sur moi comme des chiens enragés, me criant de circuler, plusieurs mains pénètrent par ma vitre ouverte et des coups pleuvent sur mon cou, ma tête, ma poitrine; des gifles s'abattent à toute volée sur mon visage dont les traces sur mes joues étaient encore visibles plusieurs heures après l'agression. Sous le choc, je n'arrivais plus à bouger, le moteur cale. Me voilà livrée à la rage de ces voyous qui continuaient à me frapper brutalement sur la tête et le dos, en donnant de violents coups de pieds à la voiture dont ils défoncent la tôle sur tout le côté gauche ; tout cela sous une pluie d'injures obscènes et de propos orduriers qu'on réserve particulièrement aux femmes, en présence du préfet de police de la Médina qui me menaçait d'exactions plus graves. Pendant plusieurs minutes, longues comme une éternité, j'étais à leur merci, tétanisée, ne comprenant pas ce qui m'arrivait. Reprenant un moment mes esprits, je démarre et pars; humiliée de ces gifles qui ont souillé mon visage; humiliée de tout ce vocabulaire misogyne et obscène qui me cible sans raison, émanant de représentants officiels de l'ordre; humiliée de découvrir que la loi de la jungle a remplacé l'Etat de droit dans mon pays; humiliée de découvrir la dérive d'un régime fragilisé à qui il ne reste plus que la violence et la répression pour se protéger de la demande citoyenne. "

    Tunis le 5 mars


    Déclaration de Moncef Marzouki

    Le pouvoir tunisien vient de nouveau de m'interdire de quitter le pays, pour répondre à l'invitation de mes collègues français d'enseigner à Paris, ma discipline (la santé publique) que je ne peux plus enseigner chez moi. Ce n'est que la dernière mesure dans un long chapelet de violations de mes droits, qui se répètent depuis une décade : menaces de mort, emprisonnement, procès, interdiction de voyage, de téléphone, de travail, prise de mes proches en otages ...
    Cette situation n'est hélas qu'un échantillon parmi tant d'autres, subies par tant de militant(e)s des droits de l'homme. La situation catastrophique des militants des droits de l'homme n'est que le symptôme du drame de la liberté dans ce pays transformé en une gigantesque caserne de police. Face à cette situation :
    - je réitère ma protestation contre tant d'arbitraires,
    - j'appelle tous les Tunisiens à ne pas céder à la peur, au découragement. Plus que jamais, ils doivent serrer les rangs, exercer leurs droits quelqu'en soit le prix, mettre en place les libertés démocratiques, préparer dès maintenant l'alternance et les alternatives, afin que 2004 soit le tournant permettant enfin à la Tunisie de réaliser l'objectif de notre génération. Rien de plus, rien de moins qu'un peuple enfin souverain, qu'un Etat enfin légitime "

    10 mars 2001





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    RIPOSTE


    Mobilisation pour la Tunisie:
    Ali Saïdi,
    agent à la recherche de renseignements

    Nous ne répondons pas aux anonymes, ni aux déficients intellectuels, ni aux épouvantails des chargés de mission de Ben Yahya. Cependant, ya Ali ya Saïdi, courageusement anonyme ou dissimulé derrière des écrans de fumée, comme je reconnais ton style inimitable et que j'ai d'anciens messages de toi à partir de cette même adresse, je sais pertinemment pourquoi tu cherches à t'immiscer dans les rangs des Tunisiens et de leurs amis. Cela te ferait gagner des galons auprès de ton employeur, voire t'élever au rang de chef de quelque chose au ministère de Ben Yahya.
    Les Tunisiens et leurs amis feront gaffe à ce que toi et tes commanditaires n'ayez aucune chance de compromettre leurs efforts en faveur du peuple tunisien, donc que vous resterez parfaitement aveugles quant aux modalités d'action qui peuvent être mises en oeuvre pour éclairer l'opinion et secourir le peuple tunisien. Quand bien même tu serais un agent de renseignement zélé comme ton patron, on s'arrangera pour que tu restes aveugle.
    Retourne maintenant à ton placard au ministère et restes-y !

    Khaled Ben M'barek





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    PRESSE INTERNATIONALE


    Le patron du Quai d'Orsay se laisse aller...

    "Ben Ali recule, Bouteflika tourne en rond et Mohammed VI ne sait pas où il va." Voilà comment Hubert Védrine décrit la situation politique au Maghreb. Plus carré encore, le ministre des Affaires étrangères confiait récemment à propos de la Tunisie : "Non seulement Ben Ali est un flic, mais c'est un flic con".
    "Con" peut-être, mais sûrement dangereux. Amnesty international vient de dénoncer "une escalade sans précédent du harcèlement" dont sont victimes les défenseurs des droits de l'homme en Tunisie. Fait nouveau, des bandes armées attaquent sauvagement les opposants en pleine rue. Ainsi, la sociologue Khadija chérif, ancienne responsable de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, a été frappée à deux reprises. Le frère du journaliste Taoufik Ben Brik a été agressé également par des nervis. Son crime? Il avait lancé le premier numéro d'un journal d'opposition qui appelait à la démission du général Ben Ali : "13 ans, Basta". A Tunis et ailleurs, on craint que ces bandes armées ne préfigurent de futurs escadrons de la mort.
    Pour l'instant, tous les membres du Conseil national des libertés en Tunisie, qui regroupe des forces vives de l'opposition, sont harcelées quotidiennement. Certains viennent même d'être condamnés : 1 an d'emprisonnement pour l'ancien porte-parole Moncef Marzouki, privé depuis des mois de tout emploi à l'université ; 5 ans pour Néjib Hosni, dont le seul crime fut d'avoir exercé son métier d'avocat. Quant à la courageuse Rhadia Nasraoui, très impliquée dans la défense des droits de l'homme, elle est escortée en permanence par une escouade de flics qui s'amusent à glisser des sucres dans le réservoir de sa voiture. A Tunis, les tortionnaires sont des blagueurs...
    Des personnalités tunisiennes jusque-là modérées ont souligné, le 18 mars, et en termes virulents "la dérive sans précédent du régime" caractérisée par "un pouvoir personnel et absolu (...) un étouffement de la société civile, annonciateur de tous les dangers". Parmi les signataires figure Mohamed Charfi, ancien patron de la Ligue des droits de l'homme. Ministre de l'Education de Ben Ali entre 1989 et 1994, ce laïc convaincu mena une efficace politique anti-intégriste, en modifiant notamment le contenu fondamentaliste de nombreux livres scolaires. Jamais jusqu'à ce jour Charfi ne s'était prononcé publiquement contre le régime tunisien.
    Il faut espérer que Bertrand Delanoë, adepte des vacances en Tunisie, et son ancien adversaire Philippe Séguin trouveront un moment pour dénoncer les nouvelles extravagances de Ben Ali.
    On est à l'écoute.

    N. Be.,
    Le Canard enchaîné,
    21/03/2001


    Grève à la tunisienne :

    A Paris, un conflit social qui tourne au dialogue de sourd

    Le directeur des ressources humaines de l'Union tunisienne de banques (UTB) était toujours hier soir immobilisé au rez-de-chaussée de l'agence centrale, rue des Pyramides à Paris, par une vingtaine de salariés de la banque, soutenus par des syndicalistes extérieurs de la CGT, de FO, de la CFTC et CFDT. Un après-midi difficile pour Younes Mahjoub, qui a eu peut-être un comportement légèrement téméraire: il s'était aventuré au milieu des grévistes de sa banque où le conflit dure pourtant depuis le 17 janvier. Une grève pas comme les autres, sur laquelle pèse par ailleurs la situation politique tunisienne.

    Escalier muré

    Exigeant l'ouverture des négociations sur les salaires, les gréviste campent au rez-de-chaussée de l'agence et ont visiblement du mal à entamer le dialogue avec la direction. Une médiation mise en place le 25 janvier par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a échoué. Depuis, les ponts sont coupés, au sens figuré, mais aussi au sens propre. La direction a ainsi fait murer l'escalier qui permettait la communication directe entre le rez-de-chaussée, qui sert d'agence centrale, et le premier étage, où se trouvent les bureaux de l'UTB. Résultat : les grévistes n'ont plus de contact. Un peu plus tard, le même escalier a été carrément détruit. Puis les grévistes se sont aperçus que leurs codes d'accès informatiques étaient inefficients, avant de voir le matériel lui-même être déménagé.

    "Pressions politiques"
    "Sans compter, explique Jemil Medelgi, délégué syndical CGT, les pressions politiques exercées sur le personnel tunisien de l'entreprise"; Explication : l'UTB est une filiale de la banque centrale de Tunisie, donc du gouvernement tunisien. "On nous a fait comprendre que notre mouvement ferait du tort à la réputation de la Tunisie", explique encore le syndicaliste. Un autre délégué, contacté directement par des personnes prétendant représenter en France le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti du président Ben Ali), s'est mis subitement en arrêt maladie.
    En fin d'après-midi, l'intervention de l'inspection du travail a permis de débloquer la situation. Salariés et direction se retrouveront jeudi. Quant à la direction de l'Union tunisienne de banque, elle était injoignable hier soir.

    Libération,
    21/02/2001


    La dérive des incontinents :
    Toge pas à mon pote

    Sous la toge prétexte du droit, entre profs de facs toulousains et amis de Tunisie, on se fréquente. Et plus si affinités ?
    Les intenses fricotages juridico-constitutionnels entre Toulouse et Tunis relatés par "Satiricon" n¡22, n'en finissent pas de susciter le commentaire. Relayée par France Inter, fidèlement reprise dans "Charlie Hebdo" puis dans le "Canard enchaîné", -mais sans appellation d'origine- l'info a refait surface... à la télévision libanaise! Le quotidien "Le Monde" n'y serait pas non plus indifférent. Au coeur de ce tohu-bohu, le doyen de la faculté de droit de Toulouse Henry Roussillon affirmait au même moment à "L'Express" ne pas avoir de réseau. Patience, ils sont en cours de constitution.
    Résumé de l'enjeu tunisien : en 2004, l'ami des droits de l'homme, le très démocrate président Ben Ali ne peut plus se représenter. La Constitution le lui interdit. Comment passer outre, tout en sauvegardant les apparences et faire démocrate sans adversaires? Réponse : pour concourir, chaque candidat devra obtenir le parrainage d'un certain nombre d'élus. Le hic, c'est que, hors deux partis croupion, il n'y a pas d'élu d'opposition en Tunisie. "Le doyen Henry Roussillon pourrait être appelé à jouer un rôle dans la future Constitution" se rengorgeait au salon du Sitef, Habib Slim, haut dignitaire du pouvoir tunisien approché par "Satiricon". Sans préciser davantage le rôle de son ami Henry qui, lui, dément d'un revers de manche. "Vous allez répondre?" pressent-on le doyen. "Surtout pas!" s'est effrayé celui-ci. Car l'heure n'est pas aux vagues. Le programme prévoit des rencontres imminentes. Les 21 et 22 février se tiendront les quatrièmes journées franco-tunisiennes. Tout arrêter équivaudrait à un aveu. Après tout, ne s'agit-il pas de banals échanges inter-universitaires et d'un chouïa de formation continue auprès d'anciens étudiants toulousains, comme l'actuel premier conseiller et ministre d'Etat Abdelaziz Ben Dhia, qui présidait le Conseil constitutionnel tunisien lors du coup d'Etat "médical" de Ben Ali en 1987. Ou encore Bechir Tekari, actuel ministre de la Justice qui fit ici sa thèse. Sans oublier Friaa Ahmed, ministre de la Communication passé par le lycée Fermat. Pour ne citer que les plus en vue.

    Hassan Sure,
    Satiricon,
    Février 2001


    Le fabriquant de jeans Lee Cooper en vente

    Alors que l'américain et leader mondial Levis Strauss se bat pour retrouver un second souffle auprès des enfants de la génération jean, le britannique Lee Cooper va annoncer dans les prochains jours sa mise en vente, selon le "Financial Times". Le groupe a choisi la banque d'affaires britannique Close Brothers. Il espère trouver un repreneur prêt à payer environ 50 millions de livres. Evolution de goûts en matière de mode et concurrence de nouveaux produits, le jean a perdu de son aura dans le coeur des consommateurs ces dernières années.
    Mais, si Lee cooper est dominé sur le marché du jean par les américains Levis Strauss et VF jeans, filiale du groupe textile américain Vanity Fair Corporation, la marque britannique est loin d'enregistrer un aussi fort recul de ses ventes que Levis Strauss. Les bénéfices de Lee Cooper en 2000 ont certes enregistré une légère chute de 1.8% à 5,6 millions de livres, mais son chiffre d'affaires a progressé de 9% à 61,5 millions de livres.
    Détenu à 53% par Bridgetpoint et DLJ Phoenix, Lee Cooper a également pour actionnaires la Compagnie de textile de Hong Kong Wingtai (30%) et la famille Djilani (17%) de Tunisie, où sont implantées les usines de fabrication de Lee Cooper. Bridgepoint Capital était le chef de file du consortium qui a racheté la deuxième marque européenne de jeans en 1994 à Vivat Holdings.
    Né en 1908 à Liverpool, Lee Cooper occupe la deuxième place sur les marchés français (55% de son chiffre d'affaires), belge et suisse. Il s'inscrit en troisième position au Royaume-Uni où les ventes de jeans ont commencé à repartir à la hausse en juin de l'année dernière.
    Contrairement à Levis, Lee Cooper n'a jamais cherché à s'attaquer directement à la clientèle jeune. La marque vise une clientèle plus large et a adapté son réseau de distribution en conséquence. Ses jeans sont en vente chez les indépendants, les grandes surfaces spécialisées dans l'habillement et la vente par correspondance. Un éventail qui ne l'empêche cependant pas de maintenir le contrôle de sa distribution. Lee Cooper a récemment intenté un procès à un supermarché Continent (passé sous l'enseigne Carrefour) qui vendait ses produits sans autorisation.

    Le Figaro,
    Paris,
    06/03/2001


    La Tunisie multiplie
    ses critiques contre la France

    Par la voix de ses responsables politiques et syndicaux, le régime du président Ben Ali a lancé depuis quelques jours dans la presse locale une campagne virulente pour dénoncer les "tentatives d'ingérence étrangère" dans ses affaires intérieures. Cette campagne vise au premier chef la France, accusée de critiquer la politique de Tunis en matière de droits de l'homme.
    Samedi 3 mars, des poursuites judiciaires ont été engagées contre le président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), Mokhtar Trifi, pour "diffusion de fausses nouvelles" et "refus de se soumettre à une décision judiciaire". Le12 février, un tribunal avait annulé le dernier Congrès de la Ligue. Ce même jour, à l'aéroport de Tunis, le journaliste Taoufik Ben Brik s'est vu confisquer tous ses documents au terme d'un séjour en France.

    Le Monde,
    06/03/2001


    Il n'y a plus d'intouchables
    au pays de Ben Ali

    Cette fois, les policiers de Zine Ben Ali ne s'en sont pas pris à un quidam, voire un journaliste, un avocat ou un islamiste sans défense. Par deux fois en quelques jours, ils ont agressé un de ces personnages généralement considérés comme "intouchables", appartenance sociale, liens familiaux et indépendance obligent.
    Agression. Samedi dernier, alors qu'elle sortait du Palais de justice de Tunis, c'est donc une sociologue très connue, Khadija Chérif, qui est jetée et traînée à terre par un agent des services de sécurité en civil qui lui arrache le dossier qu'elle transporte dans son sac, avant de fuir. Les dizaines d'agents présents aux alentours du Palais ne font même pas mine d'intervenir. Le procureur de la République devant lequel elle veut déposer plainte pour "agression en flagrant délit" refuse de recevoir sa plainte. Le dossier volé contenait des photos et des documents concernant l'agression qu'elle avait déjà subie dix jours plus tôt.
    Ce 1er mars, un important dispositif policier bouclait les alentours du Conseil national des libertés (CNLT, non reconnu) où devait se tenir une réunion à laquelle Khadija Chérif se rendait. Moncef Marzouki, l'ancien président de la Ligue des droits de l'homme, et deux autres universitaires ont aussi été violemment frappés à cette occasion.
    A Tunis, c'est la consternation : "Si Ben Ali en arrive à s'en prendre à Khadija Chérif, c'est qu'il croit pouvoir désormais tout se permettre", remarquent, unanimes, les militants des droits de l'homme. Le chef de l'Etat tunisien n'en finit pas en effet de harceler ses opposants enterrant les velléités d'ouverture du régime qu'il avait mis en avant l'an dernier, lors de la grève de la faim du journaliste Taoufik Ben Brik.
    Obsédé par la volonté d'obtenir un quatrième mandat en 2004, Zine Ben Ali cherche à museler toute opposition, dans la perspective de gagner le référendum/plébiscite qu'il aurait l'intention d'organiser afin de pouvoir briquer un nouveau mandat. Et les militants des droits de l'homme sont les premiers visés.

    J.G.,
    Libération, 14/032001





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    LA PLUME DÉCHAINÉE


    El M'aallem, monarque des stades

    Un téléphone mobile posé sur un fauteuil du hall de l'hôtel crachote : " El M'aallem parti de Tunis, arrivera à Sousse à 20 heures. " Sur le mur, une banderole ornée d'un logo fournit un indice sur l'identité de ce mystérieux voyageur. El M'aallem (le Boss) n'est autre que le président du FCT, le Football Club Tunisois.
    L'hôtel situé au bord d'une autoroute dans les environs de Sousse, ville balnéaire, s'est préparé pour son arrivée comme il l'aurait fait pour Ben Ali. Dans le hall, des courtisans bavardent en grappes : des types grassouillets se dandinent comme des amibes avec leurs bracelets qui cliquettent, leurs bagues 24 carats étincelants et leurs portables qui émergent de leurs croupes moulées dans des jeans.
    Les footballeurs, censés se dégourdir le samedi dans un stade local, arpentent le hall en marmonnant des mantras. Derrière moi une voix déclame : " On va leur tanner le cul, mec ; leur montrer qui nous sommes. Ils vont voir. C'est de la viande froide. " Inquiet, je me retourne vers un jeune noir au crâne aussi lisse qu'un ballon. Il porte un blouson qui a coûté la vie à toute une colonie de caméléons et sourit mystiquement, tout en donnant des coups de pied dans le vide.
    J'attends qu'il marque son but imaginaire avant de lui demander comment il en est venu à faire partie de la jet-set du football. " El M'aallem m'a acheté dès qu'il m'a vu évoluer dans l'équipe de mon village. Maintenant, tout ce que je veux, je peux l'avoir : fringues, voitures, nanas, piaules. El M'aallem, c'est mon père. "
    Le spectacle tourne toujours autour d'El M'aallem lui-même, comme je le découvre lorsqu'il arrive à l'hôtel avec trois heures de retard. Comme il opère toujours dans la confusion la plus totale - tous ses déplacements sont entourés d'un brouillard de frime et de désinformation qui sème ses rivaux et embrouille ceux qui sont à ses trousses - personne ne connaissait avec certitude l'heure de son apparition. En sortant du hall, je le reconnais à sa gueule luisante d'imberbe qui émerge d'une Mercedes-six portes, suivi d'un monstre flasque en costume noir. La gueule d'El M'aallem est célèbre. C'est un masque de gloire. Il aime dire que son masseur passe plus de trois heures à effacer ses rides : " avoir une gueule comme la mienne, c'est une grande responsabilité. C'est le signe évident d'une faveur divine. " Mais aussi de sa propre capacité à échapper à toutes les lois, y compris celle du temps : il n'a pas d'âge.
    &AGRAVE; l'hôtel, les nouvelles relayées par le portable vont vite : " El M'aallem est dans la maison ! " En un rien de temps, il se retrouve entouré de magouilleurs, d'adulateurs en puissance. Au milieu de la foule, seul son parfum féminin le situe. De temps en temps il aboie "qu'il crève", quand on lui parle des autres présidents de clubs adverses mis à l'écart d'un marchandage de droits de transmission. J'entends un éclat de rire tellurique, qui secoue sa carcasse. Au milieu de la mêlée, on lui passe des bébés pour qu'il les prenne dans ses bras. El M'aallem, que son minois désigne comme un saint, laisse venir à lui les petits enfants. Les serveuses, entre deux petits corps soulevés, lui tendent des serviettes en papier. Parfois, elles leur reviennent avec la signature d'El M'aallem, mais une fois sur deux, elles les récupèrent trempées, en boule, ayant servi à essuyer des bambins intimidés.
    Je demande à l'une des serveuses, tout juste arrivée du bled, pourquoi elle voulait un autographe d'El M'aallem : " Il est puissant, non ? " répond-elle avec un sourire d'une charmante vacuité. Oui, il l'est. Mais à quel titre ? Pour avoir truqué des matchs ? Pour avoir acheté des arbitres ? Pour avoir lésé des footballeurs en ne leur versant pas leurs salaires ? El M'aallem est un tyran qui entend créer sa propre dynastie. Pour devenir un footballeur de première division, il faut signer un contrat avec lui. Avec sa famille élargie, El M'aallem contrôle personnellement le plus populaire et le plus riche des sports en Tunisie, autrefois réservé aux capitaines de l'industrie. En Tunisie, on ne s'encombre pas de ces détails. Ce qui compte, c'est d'être puissant, même si vous devez votre réputation à la corruption ou à un visage absurdement juvénile. El M'aallem, bien sûr, ne voit pas les choses ainsi. " Je suis la concrétisation vivante du miracle tunisien ", aime-t-il à dire.
    S'étant abreuvé à grands traits de Celtia, la bière locale, El M'aallem m'administre alors, dans un salon de l'hôtel ouvert uniquement pour lui après la fermeture, un de ses fameux monologues qui épuisent le vocabulaire et éreintent la syntaxe. Son extase exorbitée est celle d'un vendeur à la sauvette des faubourgs de Tunis, plombée de graves références d'autodidacte. El M'aallem, dont les pataquès ne sont pas dépourvus d'une certaine poésie aléatoire, a passé son temps d'adolescence à lire des sages comme Tintin, Zagor et Bleck le Roc. Ses allusions littéraires sont aussi solennelles que le coup de sifflet qui met fin à une mi-temps.
    Les mots s'écoulent et jaillissent de sa bouche comme s'il donnait naissance au langage et, logo illogique, créait par la parole un monde biaisé et absurde. " L'audace p'tit, l'audace, c'est ça mon truc. " Effectivement ! Il a tout d'un fonceur, " les gens sentent les vibrations que j'émets, parce que je suis un gars du peuple. Pour sûr j'ai côtoyé des rois, des présidents... Mais je préfère les masses aux classes, je reste en contact avec la rue. La plupart du temps, les puissants ont un bataillon de gardes du corps. Moi je n'en ai que dix. Tu sais, mec, j'ai la baraka ! "
    Là, El M'aallem, pour illustrer, commence à me parler des miracles qu'il aime à accomplir : " Je récolte des épaves. Personne ne vient me voir avant de s'être fait baiser. Les footballeurs ne viennent me voir que lorsqu'ils touchent le fond. Moi, je sors ces mecs du ruisseau et je leur donne plus d'argent que personne n'en a jamais eu dans sa vie. Je les sors de la fange et je les fais se distinguer sur les stades. Moi, je peux arracher le possible aux mâchoires de l'impossible. Donne-moi un caillou et je t'en fais un dinar. " Son pot-au-feu réthorique finit par déborder. " Quand je trouve l'oiseau rare, je suis prêt à avaler des sabres pour lui. C'est en forgeant qu'on devient forgeron, mon pote. Mais je ne resquille pas. Je préfère baiser qu'être baisé. J'ai pas besoin d'avoir tout, moi. Je suis pas un avide qui s'étouffe d'indigestion. "
    &AGRAVE; ce moment, El M'aallem, démentant ses propres affirmations, émet une éructation caverneuse. Je me souviens d'enquêtes sur ses contrats extorqueurs ; des footballeurs dépouillés de tout, sauf d'une infime portion de leurs salaires. Comme se lamentait un de ses poulains : " si vous avez un dinar, El M'aallem en prend deux. " El M'aallem engloutit quelques gorgées supplémentaires de Celtia, histoire de faire passer toutes ces couleuvres par son vaste canal alimentaire. Puis il passe à sa toute dernière trouvaille, la nouvelle recrue brésilienne à qui il cherche à donner la nationalité tunisienne pour qu'il endosse le maillot national. " Personne ne peut me traiter de xénophobe. Moi, j'ose être ouvert. L'homme sans générosité reste au sol et n'a point d'aide. C'est mon credo. Je me lève dans la lumière du jour, je tends le rameau de l'olivier. Je suis une ode à la Tunisie. "
    Le style décousu et le martèlement sonore d'El M'aallem, qui passe de la prophétie au profit, franchissent allègrement les contradictions de la vie tunisienne. Nationalisme et show-biz s'entremêlent, sans qu'un raccord soit visible. " Nous sommes tous vêtus, énonce-t-il pompeusement, de la simple étoffe de notre destin. J'Ïuvre, je prie et je conclus des contrats ; qui dit mieux ? Gloire à Allah ! " Et d'étouffer un nouveau rot de ferveur ; l'homme ne manque pas d'air.
    Certes, son chemin a été semé d'embûches, mais El M'aallem exprime solennellement sa gratitude pour les minutieux examens dont ses tricheries et ses tours de passe-passe financiers ont fait l'objet au cours des treize dernières années de la part de la brigade financière. " Mes ennemis se sont unis dans la haine pour souiller mon nom. Mais j'ai extirpé d'eux leur venin. Je prêche l'amitié. Aucun mensonge n'est éternel : c'est Irfan qui l'a dit. Sûr que, comme le disait Attouga, si tu me piques, je saigne. Alors, je me préserve du mauvais Ïil. Je suis un vendeur d'espoir ; c'est ça mon truc. Bien, tiens, j'ai un doctorat ès sciences de la bonté, moi. "
    Il se gratte le ventre, aspire bruyamment un peu de Celtia et exhibe dans un sourire une double rangée de dents dangereuses et blanches comme des pierres tombales. El Maallem s'est forgé une réputation de sangsue, usant de ses footballeurs comme des petites mains et profitant de leur illettrisme pour s'en tirer en les dépouillant. Une fois, il a facturé à un footballeur, pour les 24 jours passés en formation à 100 dinars la journée, la jolie somme de 24 000 dinars. Mais bon, qu'est-ce qu'un zéro de plus ou de moins entre compères ?
    D'ailleurs qu'est-ce même la richesse, sinon rien multiplié par l'infini ? El Maallem, qui a fait tout petit son apprentissage arithmétique dans un " guignard " (loterie de fête foraine), pèserait, dit-on, un milliard de dinars. Pourtant les footballeurs lui gardent apparemment toute leur confiance. Chaque fois qu'une étoile veut quitter son équipe, elle s'adresse obligeamment à El M'aallem.
    " Moi, j'espère que mon nom sera connu partout, me dit une nouvelle recrue, dès l'année prochaine. " El M'aallem leur laisse leurs rêves. Il a foi en tous ses zéros multiplicateurs... Ce jour-là, sur le stade dont les pelouses sont peintes aux couleurs sang et or, plus d'un rêve a mordu la poussière. Un Keffois en quête de gloire, s'est brisé le genou. Un Kerkenien a été étouffé en avalant sa langue.
    El M'aallem fait son entrée nonchalante et tardive, caressé par les projecteurs et salué par les supporters. " El M'aallem est là, personne n'y peut rien ! " Les acclamations délirantes sont enregistrées. El M'aallem a revêtu la tenue royale qu'il porte pendant les derbys. Il traverse la cohue en oscillant, distribuant des saluts de la main et des sourires rusés comme autant d'aumônes.
    Le but marqué par l'équipe adverse a déclenché une bataille rangée dans les gradins. Pendant une heure, les courtisans d'El M'aallem improvisent avec frénésie pour apaiser un public affamé de bagarre. El M'aallem lui-même a passé l'heure à déambuler du côté du banc des remplaçants, sans se soucier de la pagaille. Il a pareillement ignoré les insultes à son égard ; car pour lui, seule compte l'attention sans partage des autorités locales.
    Mieux encore, il semble savourer l'anarchie de l'ensemble : la panique des policiers qui aboient des imprécations dans leurs talkie-walkies, et la bagarre des deux camps qui fait rage. C'est cela qui constitue son miracle tunisien - un état d'indiscipline tapageuse, de liberté sans loi où, à coups d'intrigues et de filouteries, on peut se frayer un chemin jusqu'au sommet. Et où, à force d'esquives et de parades, on peut se maintenir sans pratiquement rendre des comptes.
    Au dessus de la mêlée, il arpente le gazon artificiel du stade comme un spectre. Monarque de tout ce qui s'offre à sa vue, El M'aallem regarde le chaos et voit que cela est bon. (Le texte ci-dessus est une fiction.)

    Taoufik Ben Brik





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    "El Jour'a "
    "L'Audace " dans son arabe
    16 pages
    n°1 - Février 2001
    15 F en kiosque





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